Ce film a l’air mal fichu, nos distributeurs n’en ont pas voulu. Mais il est signé Michel Gondry, génial bricolo un pied en France (La Science des rêves), un pied à Hollywood (Le Frelon vert) et d’autres encore entre deux (Tokyo!, Soyez sympas, rembobinez). Alors bien sûr, on a envie de voir quand même. Ce qui est chose possible ces jours-ci grâce à l’importation directe, à Genève (Cinéma du Grütli) et Lausanne (CityClub Pully).
Jamais là où on l’attend, Gondry ressurgit cette fois à New York avecun projet typiquement atypique: un film réalisé en collaboration avec des non-professionnels, adolescents du Bronx, et un bus. Physiques pas des plus gracieux, image DV pas terrible et montage heurté, The We and the I détonne d’emblée par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir sur les écrans. Mais pas forcément avec le paysage choisi. On croit d’abord à un documentaire, puis cela devient peu à peu autre chose, une fiction construite, nettement plus intéressante que prévu.
D’un glissement à l’autre
C’est la fin de l’année scolaire, et une meute de collégiens grimpe dans un bus pour un dernier trajet avant l’été. Ils sont exubérants et bruyants, il y a les copains et les copines, les bizuteurs et les victimes, les amoureux et les envieux. Cela circule presque autant à l’intérieur qu’à l’extérieur. A l’avant, la conductrice réconforte Teresa, moquée par Michael et les caïds du fond. Au milieu, la belle Ladychen compose sa liste d’invités à son anniversaire tandis qu’un couple gay consomme sa rupture. Sur les téléphones, une soirée arrosée vire glauque et l’absent Elijah se prend une gamelle. Presque en temps réel (même peu réaliste), alors que la journée touche à sa fin, le bus se vide, le groupe se transforme, s’éclaircit. Et les relations deviennent plus intimes…
C’est entendu, cet assemblage de vignettes entre ados bigarrés plus vrais que nature ne vole pas très haut. Au programme, mauvaises blagues, obsession sexuelle, violence et exclusion, agrémentées par un petit jeu de textos et de vidéos transmis par portables. Bref, toute la bête cruauté de cet âge-là, à peine atténuée par un cinéaste passionné de culture urbaine mais qui n’a jamais aimé la vulgarité.
Annoncée par le titre, l’intelligence du projet ne se fait vraiment jour qu’à la tombée de la nuit: un discret basculement du groupe vers l’individu, du rire à la gravité, de la posture à l’insécurité. Peut-être vaut-il mieux être averti, car ce subtil glissement pourrait alors apparaître plus tôt. Pour peu qu’on supporte une heure de tchatche avec une poignée de personnages en trop, on découvrira un beau film sur le vivre-ensemble, l’être et le paraître, l’ici et l’ailleurs. Sans oublier cette mort qu’on cherche à conjurer mais qui, finalement, nous humanise. On le savait déjà, derrière ses airs de doux rêveur, il est très fort, Gondry.
The We and the I , de Michel Gondry (USA 2012), avec Michael Brodie, Teresa Lynn, Alex Barrios, Ladychen Carrasco, etc. 1h43.