«Et les mistrals gagnants», cinq enfants face à la maladie
Cinéma
La journaliste Anne-Dauphine Julliand suit dans un film sensible et pudique le combat de cinq jeunes enfants contre de graves maladies. Un premier film dicté par son histoire personnelle et la perte de deux filles

Sur le papier, ce documentaire semblait on ne peut plus prévisible. «Un film à hauteur d’enfant, sur la vie tout simplement», annonce le résumé officiel de Et les Mistrals gagnants, qui voit la journaliste Anne-Dauphine Julliand suivre le quotidien de cinq enfants de 6 à 9 ans. Cinq enfants malades, vivant entre leur domicile et des hôpitaux. La néo-réalisatrice de 43 ans – il s’agit de son premier film – a elle-même perdu deux filles, victimes innocentes d’une maladie génétique incurable. Elle a déjà publié deux livres, Deux petits pas sur le sable mouillé et Une journée particulière. A travers la vie de ses deux filles, elle a découvert une autre façon de vivre la sienne, affirme-t-elle.
Loin des clichés
La Française a donc décidé de filmer d’autres enfants eux aussi atteints de maladies graves, afin de les montrer justement comme des enfants, et non uniquement comme des malades. Il y a forcément dans sa démarche quelque chose qui tient de la thérapie, de l’exorcisme. Mais, miraculeusement, «Et les Mistrals gagnants» est loin d’être le documentaire débordant de bons sentiments et accumulant les clichés que l’on craignait avec pareil sujet. Anne-Dauphine Julliand a en effet réussi à trouver la bonne distance pour éviter de faire de ces enfants des martyrs. Elle filme leurs rires, leurs larmes et leurs questions, avant leur maladie, et laisse le plus souvent les adultes dans les marges, à la périphérie du hors-champ.
«Rien n’empêche d’être heureux»
Alors oui, forcément, il y a dans ce qui nous est montré quelque chose qui tient de la leçon de vie; on sent du courage, de l’abnégation et de la résilience. Mais jamais la réalisatrice ne cède à la facilité. Le montage alterné faisant des cinq parcours de vie une mosaïque impressionniste plus qu’un véritable récit est parfaitement maîtrisé, et les séquences finement découpées, alors que la tentation aurait pu être grande de faire durer certains moments, d’appuyer un passage plus sensible, quitte à flirter avec le voyeurisme. Or ce n’est jamais le cas.
Les quatre garçons (Camille, Charles, Imad, Tugdual) et la fille (Ambre) que l’on découvre dans toute leur jeune complexité ont tous en eux une force insoupçonnée inhérente à leur combat, mais aussi des personnalités différentes, des rapports différents à la maladie et à la vie, à la mort aussi. «Rien n’empêche d’être heureux», dit Tugdual, tandis que Camille annonce très calmement: «Je suis malade. Mais quand je serai mort, je serai plus malade.»
Magnifique photographie
Le titre du film renvoie à la chanson éponyme de Renaud, ce «Mistral gagnant» qui a connu une seconde vie suite à sa reprise en 2014 par la Québécoise Cœur de pirate. La chanson est belle, émouvante. On pensait l’entendre durant le générique de fin, voire pas du tout. Un clin d’œil à ce morceau mélancolique parlant de l’enfance révolue aurait d’ailleurs amplement suffi, simple allusion poétique plutôt que démonstration facile. Las, Anne-Dauphine Julliand utilise «Mistral gagnant» in extenso dans la dernière partie de son documentaire, un peu avant que l’on prenne congé des protagonistes.
On se sent alors soudainement pris en otage, comme au début du film, lorsque les enfants sont introduits les uns après les autres sur fond de petite ritournelle agaçante. Dommage. Ces petites erreurs n’affaiblissent pas véritablement le film, mais le rapprochent brièvement de tant de reportages télévisés balisés, alors que sa magnifique photographie – fruit d’une collaboration avec plusieurs chefs opérateurs chevronnés – en fait une vraie œuvre de cinéma.
Et les mistrals gagnants (France, 2016), de Anne-Dauphine Julliand, 1h19.