locarno film festival
Annoncé comme l’événement du festival, le film consacré à l’utopie tessinoise ne ressemble malheureusement qu’à un bon gros téléfilm. Pour la magie, il faut descendre en Patagonie où galopent les chevaux blancs

La projection de Monte Verità le samedi soir sur la Piazza Grande était un rendez-vous très attendu. Parce que le film de Stefan Jäger se situe sur la «colline de la vérité», haut lieu de spiritualité et d’expérience humaine se trouvant au-dessus d’Ascona, à quelques kilomètres de l’épicentre du Locarno Film Festival. Et parce qu’il est le seul film suisse à jouir de ce privilège cette année. Le rendez-vous a été raté. Une pluie diluvienne a invalidé la projection en plein air, et la superproduction prestigieuse a tout du téléfilm consensuel.
Au début du XXe siècle, l’éminence boisée parcourue d’énergies telluriques a aimanté de nombreux artistes venus d’Allemagne ou d’Autriche. En quête de nouvelles valeurs, épris de théosophie, de taoïsme, de bouddhisme, ces hippies de la Belle-Epoque y ont fondé une communauté où soigner leurs névroses en pratiquant le végétalisme et le naturisme. Cette singularité méritait une plongée sauvage au cœur de l’utopie, jusqu’à en exprimer la possible noirceur, invoquant l’esprit de Bakounine et de Nietzsche qui fréquentèrent la région. Las! C’est juste un téléfilm gentiment féministe, propre, poli et naïf.
Séduisante naïade
En 1906, à Vienne, la jeune Hanna Leitner (Maresi Riegner, insignifiante) étouffe dans l’ordre patriarcal de la haute bourgeoisie. Elle a deux filles, son mari veut absolument un garçon. Sentant que sa femme s’émancipe, le Bürger en haut-de-forme se fait brutal. Une nuit, Hanna prend la tangente et un billet de train Vienne-Ascona.
Pauvre oie blanche jetée parmi des femmes libres et des hommes qui se baladent la bistouquette à l’air! Elle n’a qu’une envie: rentrer à la maison. Son médecin, Otto Gross, l’en dissuade. Et puis, la pauvrette se sent pousser des ailes créatives. Si son mari lui interdisait de toucher à l’appareil photo, les pensionnaires du Monte Verità l’y encouragent. Elle révèle rapidement un très grand talent… Herr Leitner saura-t-il la faire revenir dans le droit chemin de l’épouse soumise?
La vie du Monte Verità selon Stefan Jäger, ce sont des danses effrénées et des cris de Zoulous autour de grands feux, des baignades sensuelles dans le plus simple appareil. Personnage évidemment fictif, Hanna rencontre les personnages historiques réduits à leur plus simple expression. Hermann Hesse (Joel Basman) lui parle de Siddhartha, Ida Hofmann joue mélancoliquement du piano et attend le retour de son mari, Henri Oedenkoven, pour émigrer au Brésil, Isadora Duncan fait une rapide démonstration de danse… Otto Gross est un chaud lapin qui donne à la novice la première occasion de chevaucher le mâle pendant l’étreinte et Lotte Hattemer une séduisante naïade entraînant Hanna à l’orée du saphisme avant de mourir dans le matin plein de lumière.
Cheval blanc
C’est des antipodes que vient un film suisse avec du souffle, Zahori, de Mari Alessandrini, présenté dans la section Cinéaste du présent. Mora, 13 ans, vit dans les steppes de Patagonie, avec ses parents, des émigrés suisses italiens qui s’éreintent à faire pousser des légumes dans la poussière. Elève rebelle, farouchement attachée à sa liberté, elle rêve de devenir gaucho. Elle a pour amis un vieil Indien et son cheval blanc. Une nuit de tempête, l’animal s’enfuit. Mora se met en tête de le retrouver. Il s’agit évidemment d’une quête mystique, d’un rituel chamanique instinctif dans lequel le cheval blanc est à la fois l’âme du vieux et le totem de la fillette.
Le décor est angoissant à force d’immensité, la nuit pleine de terreurs immémoriales. La dimension comique est dévolue à deux missionnaires roux traversant la pampa à pied pour porter la bonne parole. Mora joue un bon tour aux deux illuminés: en amont de l’endroit où ils baptisent par immersion quelques païens, elle lance dans les rivières des ossements de vache qui, retour du refoulé animiste, perturbent la cérémonie.