Publicité

«Mother Lode», la montée en enfer

Matteo Tortone raconte de manière saisissante le destin d’un Péruvien comme tant d’autres, parti chercher de l’or dans les Andes

Un film sombre porté par un superbe noir et blanc. — © Wendigo Films / Malfé Film / C-Side Productions
Un film sombre porté par un superbe noir et blanc. — © Wendigo Films / Malfé Film / C-Side Productions

Le hasard veut que la même semaine sortent deux films aux conditions de production similaires mais qui contrastent comme le jour et la nuit: coproductions suisses minoritaires, Sous les figues (Akka Films) et Mother Lode (C-Side Productions) sont deux «fictions du réel» qui s’inspirent des vies de leurs personnages. Mais autant le film tunisien d’Erige Sehiri est ensoleillé, autant celui tourné au Pérou par l’Italien Matteo Tortone, dans un superbe noir et blanc, paraît sombre. Normal: il y est question d’hommes qui ne voient pas d’autre solution pour se sortir de la pauvreté que d’aller chercher une hypothétique fortune dans les mines d’or de La Rinconada. A 5000 mètres d’altitude, la ville la plus haut perchée du monde.

Lire aussi notre portrait de la réalisatrice de «Sous les figues»: Erige Sehiri et l’appel de la Tunisie, pour le cinéma

L’histoire de Jorge, qu’une narration «off» donne d’emblée comme exemplaire de tant d’autres, débute sur les hauteurs de Lima. Jeune mari et père à 21 ans, il peine à nourrir sa petite famille en faisant le moto-taxi en ville. Lorsque son véhicule commence à lâcher, c’en est trop. Il part chercher du travail dans l’arrière-pays, promettant à sa femme de lui envoyer de l’argent. Après une halte sur un haut plateau agricole, l’évidence s’impose: malgré le danger, ce n’est que dans les mines qu’il trouvera un emploi pour subvenir aux besoins de sa famille.

Mais «la ville la plus proche du ciel» et son paysage quasiment lunaire ne sont pas exactement un endroit où il fait bon vivre. Le froid et l’air raréfié, voire empoisonné, affaiblissent Jorge. La fatigue et l’ennui font le reste. Comme les autres, il se met à boire et à chercher un peu de tendresse dans les bras d’une fille. Les communications avec la côte sont mauvaises et le lien avec les siens se distend. Parviendra-t-il à les retrouver?

Un film sans concession

Malgré un récit fondamentalement réaliste, le cinéaste, né à Pignerol près de Turin en 1982 et formé à l’école du documentaire, lui a rajouté une couche mythologique à laquelle contribuent le titre (mother lode est le filon mère de la ruée vers l’or américaine d’autrefois), la photo contrastée et la narration occasionnelle. Inspirée des légendes locales, celle-ci évoque le diable, auquel appartiendrait l’or, tandis que l’image revient régulièrement sur de sinistres mannequins figurant tous les ouvriers morts. Dès lors, il devient clair que Jorge s’est retrouvé en enfer.

Alors que le Pérou est secoué par de nouvelles révoltes de la misère contre des gouvernants corrompus, à la solde des compagnies minières en particulier, un tel film tombe plutôt bien. Par ses cadrages recherchés et le sens d’une juste durée des plans, c’est aussi une indéniable réussite artistique. Mais même tout ceci ne parviendra pas à le rendre populaire: présenté à la Mostra de Venise (Semaine de la critique) en 2021 et aux Journées de Soleure en 2022, Mother Lode n’a toujours pas trouvé de date de sortie en France, principal pays de production, ni au Pérou. Seuls les plus courageux iront se confronter à cette terrible réalité, où l’or prend la couleur du charbon. Par contre, si vous trouvez les figues trop douces, ce film âpre et sans concession est pour vous.


Mother Lode, de Matteo Tortone (France, Italie, Suisse, 2021), avec José Luis Nazaro Campos, Damian Segundo Vospey, Maximiliana Campos Guzman, 1h26. En salle à Genève (Cinémas du Grütli) et Lausanne (Bellevaux).