Cinéma
Après «Des chevaux et des hommes», l’Islande se confirme comme un pays de cinéma singulier avec le multiprimé «Béliers»

Un film islandais sans le moindre acteur connu et tournant autour de moutons, franchement, on a vu plus attractif. Et pourtant… On l’avait raté à Cannes, où il remporta le Prix de la section Un Certain Regard, puis à Zürich, où ce fut carrément le Grand Prix. Pour qui aime les grands espaces et les petites histoires relationnelles, avec un délicieux humour à froid, Béliers est en effet un must. Son appel à la réconciliation en des temps difficiles est d’autant plus poignant qu’inattendu, quoique savamment mis en place.
Dans ce film peu bavard, on découvre petit à petit ce qu’il suffit d’un paragraphe à raconter. Qu’importe, il n’y a pas de suspense à déflorer. Juste une atmosphère à évoquer, dont les détails sauront réjouir quiconque s’y aventurera, préparé ou non. On découvrira alors une vallée isolée d’Islande où vivent deux frères éleveurs de moutons, sexagénaires et célibataires. Même voisins immédiats, ils ne se parlent plus depuis quarante ans – des billets transportés par un chien tenant lieu de communication en cas d’absolue nécessité.
Le grand jour du traditionnel concours de béliers, l’aîné Kiddi l’emporte, au grand dam de son cadet Gummi, certain d’avoir présenté une merveille. Pire, en examinant de près l’animal victorieux, Gummi découvre qu’il est atteint de la tremblante du mouton. Or, cette maladie importée du Royaume-Uni est incurable et hautement contagieuse. Que faire, sachant que les autorités vont sans doute ordonner l’abattage de toutes les bêtes de la région? Plus raisonnable, Gummi semble se résigner tandis que Kiddi, alcoolique et colérique, entre en résistance. Mais les apparences sont parfois trompeuses…
Issu d’une famille paysanne (ses grands-parents l’étaient encore), le réalisateur Grímur Hákonarson filme cet univers traditionnel avec une affection évidente. Mais aussi avec un sens du cadre et du timing qui signale le vrai cinéaste. Déjà auteur de la comédie spirite Summerland (2011, inédite en Suisse), ce bon Nordique s’avère adepte de l’understatement, ménageant quelques gags ou surprises mémorables. D’ailleurs, à les voir, on ne devinerait jamais que Gummi et Kiddi sont joués par de vieux pros (qui ont déjà quatre fois partagé l’affiche) plutôt que de vrais excentriques du coin!
Moins étrange que Des Chevaux et des hommes de Benedikt Erlingsson il y a deux ans – tourné dans des décors proches avec une actrice commune (Charlotte Boving) –, Béliers se rattrape largement avec la puissance inattendue de sa fable. Comme quoi, même quand on aime les moutons et on est plus têtu qu’un bélier, rien ne vaut la chaleur humaine! Ne serait-ce que pour son final, irrésistible, le film vaut déjà le détour.
A se demander ce qui arrive à ce cinéma islandais, sorti comme dopé par la crise économique de 2008-9 qui a ruiné le pays. Comme l’Argentine? Certes, Baltasar Kormákur est allé chercher fortune ailleurs (passant de 101 Reykjavik à Everest) et la Franco-Islandaise Sólveig Anspach (Stormy Weather, Back Soon) s’en est allée prématurément cet été. Mais avec les triomphes de Dagur Kári (Fúsi/Virgin Mountain) à New York au festival de Tribeca et celui de Rúnar Rúnarsson (Prestir/Sparrow) à celui de San Sebastian en Espagne, ce petit pays de 330 000 habitants présente un bilan dont la Suisse n’ose même pas rêver. Evidemment, pendant que les Islandais touchent à l’universel avec ces formidables Béliers, nous en sommes toujours à communier avec le navrant Une cloche pour Ursli (sortie la semaine prochaine)…
*** Béliers (Hrútar), de Grímur Hákonarson (Islande 2015), avec Sigurdur Sigurjonsson, Theodor Juliusson, Charlotte Boving, Jon Benonysson, Gudrun Sigurbjornsdottir. 1h33