Symboles d’innocence et de liberté, des ballons rouges plus légers que l’air traversent Nachbarn («Voisins») dès la scène d’ouverture: planqués derrière une dune, le petit Sero et son oncle Aram lâchent trois ballons que le vent emporte de l’autre côté de la frontière: les soldats les descendent à la mitraillette. Tout est dit de la connerie de la guerre et de la longue tragédie du Kurdistan, ce territoire qui s’étend sur quatre pays hostiles, l’Iran, l’Irak, la Turquie et la Syrie. A 6 ans, Sero, inconscient des enjeux géostratégiques, vit heureux dans son petit village.

Né dans le Kurdistan en 1964, établi à Berne, Mano Khalil a signé de beaux documentaires, dont Unser Garten Eden, sur les jardins ouvriers où cohabitent en paix des gens venus de toutes les cultures, ou Der Imker, bouleversant portrait d’un apiculteur suisse d’origine kurde. Il semble moins à l’aise dans la fiction, multipliant les clichés dans Die Schwalbe. Une Suissesse s’aventure dans le Kurdistan pour essayer de retrouver son père qu’elle croyait mort depuis des années. Elle découvre un salaud plutôt qu’un héros au sourire si doux.

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Fonctionnaires corrompus

Vraisemblablement nourri de souvenirs personnels, Nachbarn s’avère incontestablement plus réussi. Ce film visuellement splendide s’attache aux peines et aux joies d’un petit garçon faisant l’apprentissage de la violence et du chagrin. C’est à travers le regard noir de Sero que se révèle la brutalité du monde. Elle s’incarne en un professeur arabe venu «dans ce village arriéré pour le sortir de l’obscurantisme». Zélateur de Hafez el-Assad et Saddam Hussein, le maître d’école sait compter au moins jusqu’à 2 et manie implacablement la baguette. Il concentre son enseignement sur la haine du juif et de l’«entité sioniste». Les élèves sont incités à inventer des façons de tuer les juifs; ils répètent une théâtrale se terminant par la décapitation d’une marotte de paille symbolisant Israël.

Un jour, la maman de Sero est abattue en pleine campagne par un sniper turc qui la tenait en joue pour rire. Le coup est parti… La police embarque l’oncle Aram. Elle le ramène quelques jours plus tard ensanglanté. Pour échapper à la conscription, Aram rejoint le maquis – on ne l’a jamais revu. Les familles séparées sont autorisées à discuter quelques minutes à travers les barbelés sous la surveillance d’une soldatesque agressive. Le progrès tarde à venir, l’électricité ne fonctionne toujours pas. Le père de Sero acquiert deux passeports pour que les voisines juives puissent partir: il se frotte à des fonctionnaires corrompus jusqu’à la moelle.

Palmier gelé

Pendant ce temps, les enfants restent des enfants. Ils jouent à des jeux parfois dangereux car conditionnés par l’environnement belliciste dans lequel ils grandissent, comme faire exploser une mine ou poignarder un chat dans un sac.

La répression, la violence, la bêtise et la haine n’empêchent ni la résilience ni l’humour. L’électricité et la télévision arrivent, Sero pourra enfin regarder les dessins animés auxquels il aspire (bon, pour l’instant ce sont des images de propagande guerrière…). Des lettres aux disparus sont confiées à la rivière. Et les fantoches se dégonflent: le prof exalté perd ses illusions entre son palmier, symbole du monde arabe, tué par l’hiver kurde, et son portrait de Saddam délavé par la pluie. Film dur, Nachbarn n’oublie ni l’humour ni la tendresse.