Le NIFFF, un festival qui repousse les frontières
Cinéma
Le Festival du film fantastique de Neuchâtel, qui se déroule jusqu’au 9 juillet, est autant un lieu de frissons que de reflets du monde

En 2002, lors de sa première édition, le Festival du film fantastique de Neuchâtel (NIFFF) couronnait Gemini, de Shinya Tsukamoto, un conte sur la différence (l’épouse du héros est amnésique) sous forte influence d’Edgar Allan Poe. Alors qu’à l’époque le cinéma japonais était déjà connu mais essentiellement grâce à des cinéastes vedettes souvent passés par Cannes & Co, le NIFFF (dont Le Temps est partenaire) propulsait une autre facette de la cinématographie de l’archipel. Récidive, en 2002 toujours, avec l’estomaquant Suicide Club de Sono Sion, l’une des plus grandes œuvres sur la contamination des idées morbides. L’année passée, pour sa 20e édition, le festival consacrait une fable sur le monde du travail désagrégé façon Amazon (Lapsis, de Noah Hutton).
Des visions différentes
Ces seuls trois raccourcis à vingt années d’écart montrent à quel point l’événement macabre de Neuchâtel s’est imposé comme le porte-voix de visions du monde différentes, mais pertinentes. Cette année, la rétrospective est consacrée aux représentations des minorités LGBTQ, autre enjeu social.
Lire aussi: Le cinéma de genre, refuge des diversités
Le NIFFF fait sourire avec ses films bien trash où les têtes giclent quand elles ne sont pas décapitées à la scie domestique. Cette horreur populaire a droit de séjour, elle constitue après tout la mécanique de frissons et de lien social dans bien des pays du monde. L’un des points forts, inamovible, du NIFFF est d’ailleurs la manière dont les fidèles y découvrent les enfers d’ailleurs, des lézards géants thaïlandais aux zombies mutants argentins en passant par un requin des Landes. Les langages de la terreur varient, mais ici, elle se goûte en mode panoramique. Avec au moins neuf films sur dix qui ne seront pas montrés en salles, et même parfois impossibles à trouver sur les plateformes, le NIFFF est sans doute l’un des festivals les plus respectueux de l’impératif fédéral portant sur le critère de la «diversité cinématographique».
Lire aussi: Park Chan-wook: «Mon film est à 100% un polar et à 100% une romance»
Le fantastique d’aujourd’hui est souvent l’ordinaire de demain
Mais face à ses aînés (Locarno, etc.), le petit agité de Neuchâtel fore plus en profondeur – un peu pour son malheur. Le fantastique d’une époque devient la banalité de la suivante. Un jour, plus tard, les questionnements de la rétrospective 2022 paraîtront ringards – et il faut espérer que les choses se déroulent ainsi.
Plus que les autres, les festivals de fantastique sont des ouvreurs de voies, des «repousseurs» de limites. Ils en souffrent aussi, car leur ordinaire devient le mainstream – voyez le déluge de surnaturel chez Netflix. Il leur faut sans cesse repousser les lignes, sans donner dans la vulgarité débilitante. Pour se projeter vers demain, ils doivent gratter le monde toujours plus habilement. Quant à creuser et à y regarder de près, dans ses terres horlogères et montagnardes, le NIFFF sait y faire.