Drôle d’impression que de passer un film entier à sentir des odeurs… C’est ce que parvient à faire le Franco-Vietnamien Tran Anh Hung – qu’on avait quelque peu perdu de vue depuis les jolis succès de ses deux premiers films (L’Odeur de la papaye verte, 1993; Cyclo, 1995) – avec La Passion de Dodin Bouffant, son septième long métrage. La première séquence est tout simplement fascinante: pendant une trentaine de minutes, elle met en scène une chorégraphie durant laquelle le chef Dodin, sa cuisinière Eugénie, son aide Violette et la jeune Pauline, qui vient en observatrice mais semble avoir un don, confectionnent un imposant menu composé d’un consommé, d’un vol-au-vent, d’un turbot, d’un carré d’agneau et d’une omelette norvégienne que Dodin va partager avec quatre amis gastronomes qui semblent capables d’engloutir des quantités astronomiques de plats en sauce qui doivent affoler leur taux de cholestérol.

Sur un précédent film de Tran Anh Hung: Pensum grand-bourgeois

Le film est adapté de La Vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet, roman publié en 1924 par l’écrivain genevois Marcel Rouff – on parle d’ailleurs dans le film de chasselas, des coteaux en pente du Dézaley et… du lac de Genève! Dodin-Bouffant est un pur personnage de fiction, que Rouff a inventé pour en faire un grand chef français de la fin du XIXe siècle servant de chaînon manquant entre le pionnier Antonin Carême, le cuisinier de Talleyrand, et le novateur Auguste Escoffier, qui s’associera à l’hôtelier César Ritz, pour faire des palaces, des temples de la haute gastronomie.

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La manière dont Tran Anh Hung filme avec attention la préparation lente et minutieuse de plats mijotés à l’ancienne sur une cuisinière à bois, tient de la parade amoureuse. Car Dodin et Eugénie s’aiment, même si celle-ci ne cède pas aux envies de mariage de son patron. L’amour passe par l’estomac, dit-on en effet. Dans le plus beau moment du film, Dodin va préparer seul un repas qu’il va servir à Eugénie, inversant le temps d’une soirée la hiérarchie habituelle: elle en bas à la cuisine, lui en haut entre hommes dans la salle à manger. Cette déclaration d’amour non verbale, mais culinaire, est magnifique.