«Petite Sœur», la vie à mort
Cinéma
Des jumeaux, un comédien malade et une écrivaine en panne, luttent pour survivre dans un drame subtil et puissant de Véronique Reymond et Stéphanie Chuat qui représentera la Suisse aux Oscars

Ils sont nés quelque quarante ans plus tôt, Sven deux minutes avant Lisa, et cette avance dérisoire fait de lui à jamais le grand frère et d’elle la Schwesterlein, la petite sœur. Aujourd’hui, les rôles s’inversent: Sven, comédien vedette de la Schaubühne de Berlin, est atteint de leucémie. Lisa prend soin de lui, fait don de sa moelle pour une greffe de la dernière chance. Il rêve de reprendre le rôle de Hamlet, mais la performance le tuerait sans doute. Entre ses deux enfants et la maladie de son aîné, Lisa, auteure dramatique à succès, a perdu l’inspiration…
Actrices de formation, Véronique Reymond et Stéphanie Chuat se sont imposées il y a dix ans avec leur premier film, La Petite Chambre, une méditation sur le deuil. Elles ont enchaîné avec une série télévisée, A livre ouvert, puis un documentaire, Les Dames, consacré à quelques femmes romandes combattant la solitude.
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Avec Petite Sœur, les deux Lausannoises s’exportent à Berlin. Elles inscrivent leur fiction à l’ombre de la prestigieuse Schaubühne. Star du théâtre allemand, acteur fétiche de Thomas Ostermeier (qui apparaît dans le film) sous la direction duquel il a joué Hamlet, Lars Eidinger incarne Sven. Admirée dans les films de Christian Petzold (Barbara), Nina Hoss est Lisa. Marthe Keller complète la distribution dans le rôle de la mère maladroite des jumeaux.
Tonton zinzin
Sven est un clown rebelle qui coiffe des perruques de fantaisie pour jouer les trompe-la-mort et tenir le rôle du tonton zinzin dont raffolent ses neveux. Il s’élance dans les airs en parapente avec Martin, son beau-frère, dans une scène s’affranchissant des contraintes de la pesanteur et révélant la majesté des montagnes éternelles. Martin dirige à Leysin un collège «pour enfants d’oligarques russes». Il signe pour un nouveau contrat de cinq ans, sans se soucier de Lisa qui s’étiole loin de Berlin.
En s’approchant du mystère de la mort, les dernières mesures de ce film serti de musiques apaisantes touchent au sublime. Lisa a piqué une colère noire. Elle reste dans le petit parc berlinois, au pied de la maison, dans le soir qui vient. Au bac de sable, elle sculpte longuement un labyrinthe. Au dernier étage de l’immeuble, une lampe clignote, comme une vie qui vacille, comme un S.O.S. Elle monte retrouver Sven, à bout de souffle. Ils rédigent un texte à quatre mains, à deux voix. Lisa retrouve l’inspiration dans le petit matin. Jouée au piano, une cantate de Bach (Wachet auf, ruft uns die Stimme) accompagne le générique de fin comme un chant de réconciliation. Il montre la lumière.
«Petite Sœur (Schwesterlein)», de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond (Suisse, 2020), avec Nina Hoss, Lars Eidinger, Marthe Keller, Jens Albinus, Thomas Ostermeier, Isabelle Caillat, 1h39.