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Piètre série, «Spartacus» illustre le ratage esthétique d’un projet sulfureux

Dans le sillage de «Rome», une chaîne du câble américaine narre le destin du gladiateur à grands renforts de sang, sexe et combats. Un feuilleton qui semble nier sa propre nature, cherchant son salut par l’imagerie de BD et de jeux vidéo

Genre: DVD et Blu-ray Qui ? Série créée parSteven S. DeKnight (2010) Titre: Spartacus Spartacus: Blood and Sand Chez qui ? Starz/Fox

Il y a ce sang. La marque de fabrique de la série, jusque dans son titre; le sang des hommes et le sable de l’arène. Dans Spartacus: Blood and Sand, durant les combats des gladiateurs, l’hémoglobine gicle par gerbes écarlates passant au premier plan, devant les lutteurs, avec des éclaboussures traitées de manière à ce qu’elles dominent l’image et apparaissent au ralenti. Le spectateur a soudain l’impression de ne plus voir une œuvre audiovisuelle, mais d’être projeté dans une bande dessinée. Cela surprend au début et fait sourire certains téléphiles; puis le procédé devient si habituel que sa répétition exaspère ou fascine, selon le point de vue.

Spartacus semble accomplir une mission simple: jouer la carte de la surenchère. Sur les chaînes du câble américaines, le registre historique est en vogue. De 2005 à 2007, il y eut la superbe Rome, coproduction HBO et BBC créée par Bruno Heller, William J. MacDonald et John Milius. Puis, dès la fin de Rome, changement d’époque avec Les Tudors, retorse réplique mêlant politique et sexualité par Showtime, autre chaîne payante. Les amateurs ont récemment eu droit à deux visions de la dynastie Borgia, et d’autres filons seront investis. Créée par Steven S. DeKnight, relancée pour une deuxième saison, Spartacus: Blood and Sand a été doublée d’une série sœur, Spartacus: Gods of the Arena, située avant la trame de la fiction d’origine. L’ensemble constitue l’apport de Starz, petite chaîne du câble, qui entre à son tour dans la danse des émois historiques. Le cahier des charges paraît limpide: en rajouter dans la violence, le sexe et la crudité des situations.

La série suit la trajectoire du gladiateur d’origine (supposée) thrace, en narrant son alliance initiale avec les Romains et en lui adjoignant une femme tombée en esclavage. Pour elle, il s’imposera dans l’arène, afin de pouvoir la retrouver: c’est la promesse faite par Batiatus, son maître et laniste, c’est-à-dire le patron de la résidence d’entraînement des lutteurs.

Au contraire des autres séries citées, il y a peu d’intelligence dans cette Spartacus écrite par des auteurs plongés dans leur ambiance, jusqu’à ne plus voir les enjeux dramatiques que le thème pourrait offrir. On aurait pu rêver d’une histoire de gladiateurs comme métaphore du spectacle; s’ils avaient eu une trempe ­vraiment provocatrice, Steven S. DeKnight et son équipe auraient pu composer une belle fiction-miroir, par exemple sur l’escalade de la violence en représentation et sur l’appétit des foules. Mais ce n’est pas leur idée: la provocation dont il est question ici se résume en scènes suggestives, énergiques coups de reins de ces esclaves vus comme des bêtes (de sexe).

Avec son incessant défilé de pugilistes glabres aux muscles luisants d’huile et de sueur, Spartacus ramène son public au niveau de certains de ses protagonistes: les femmes de la haute société romaine qui s’émoustillent en contemplant, voire en consommant, ces animaux musculeux. Le feuilleton fait ­commerce de son escouade de culturistes nus qui passent leurs journées à s’enlacer pour la baston. Les auteurs posent leurs personnages sans la moindre finesse, juste pour l’exposition de corps et de mouvements.

Ce choix minimal tient sans doute beaucoup à l’esthétique souhaitée, laquelle accroît sévèrement le déficit de subtilité du produit. Tout est fait pour éviter une mise en scène un peu réaliste. Là où Rome subjuguait par sa relecture visuelle de la Ville éternelle dans son état antique, Spartacus esquive ce défi, choisissant le refuge d’une imagerie de manga. Lorsque le futur Spartacus quitte sa compagne pour aller combattre – avec le destin qu’on imagine –, ce petit matin-là, en Thrace, a un air de dessin animé montrant les cerisiers en fleur, avec les couches de pastels adéquates.

Evoquons des noms, puisqu’ils sont aussi importants que l’auteur: Iain Aitken, le designer de production, et Aaron Morton, le chef opérateur et responsable de l’image, empruntent à tout va dans la composition de leurs plans. Comme pour faire oublier qu’il s’agit d’une série TV. Les combats obéissent au séquençage d’un jeu vidéo, avec des effets de profondeur de champ écrasée, des grossissements de détails – le sang, surtout –, qui, eux, tiennent de la bande dessinée façon comics américains.

Même si l’on décèle un effort de construction au fil de la première saison, et même s’ils détaillent la vie de cette PME de gladiateurs qu’est la maison de Batiatus, les auteurs de Spartacus ne paraissent guère passionnés par leur propos. Le but semble davantage être de fournir une mise en chair, sur le plan de la fiction, aux pseudo-combats de catch qui excitent certains amateurs de télé-réalité. A ce titre, alors que la série TV brille toujours de beaux feux aux Etats-Unis, la chaîne Starz invente la négation du genre. Un exploit, mais qui lasse.

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Le chef des gladiateurs et Spartacus