Cette semaine, c’est sur les bords de la Limmat qu’il fallait être pour avoir la preuve que le cinéma «welche» se porte bien. Quelques mois après l’acceptation par le peuple de la nouvelle loi sur le cinéma, la fameuse «Lex Netflix», c’est de très bon augure. Parmi les longs métrages sélectionnés par le Zurich Film Festival (ZFF), La Ligne (sortie le 11 janvier 2023) faisait partie de la section Première Gala, dévolue aux premières suisses de films attendus, aux côtés de plusieurs titres découverts au dernier Festival de Cannes, comme Close, de Lukas Dhont, ou Nostalgia, de Mario Martone.

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Dévoilé en début d’année à la Berlinale, La Ligne est le cinquième long métrage d’Ursula Meier, le troisième pour le cinéma. Après Home (2008) et L’Enfant d’en haut (2012), la cinéaste ancre à nouveau son récit dans un territoire bien délimité. Après une maison au bord d’une autoroute et des allers-retours entre une tour HLM et une station de montagne, elle met en scène un drame familial dans lequel Margaret (la chanteuse et comédienne Stéphanie Blanchoud, également coscénariste) est sous le coup d’une mesure d’éloignement l’empêchant d’approcher à moins de 100 mètres de sa mère (Valeria Bruni-Tedeschi) à la suite d’une violente dispute. A fleur de peau, constamment sous tension, Margaret n’exprime ses émotions qu’à coups de poing et de cris. Sa jeune sœur, afin qu’elle respecte la mesure, trace une ligne autour de la maison familiale, faisant du film une fable évoquant le western dans sa manière de filmer un duel à distance.

Le rôle de la Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale

Egalement en séance de gala, mais en première mondiale, A Forgotten Man (sortie non agendée) est un film s’aventurant dans les méandres de l’histoire suisse, là où trop de peu de réalisateurs veulent aller. Après un mélodrame familial (Fragile, 2005), une comédie déjantée (Opération Casablanca, 2010) et un «documenteur» politique (Confusion, 2015), Laurent Nègre prend un nouveau virage pour raconter en noir et blanc le retour en Suisse, en 1945, de Heinrich Zwygart, ambassadeur de Suisse à Berlin. En se penchant sur le passé trouble d’un homme parfois trop proche du régime nazi et qui a fermé les yeux sur l’arrestation et l’assassinat d’un concitoyen – car il fallait bien servir les intérêts helvétiques, justifie-t-il – c’est plus globalement le rôle de la Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale qu’il interroge.

Réservée aux productions suisses, allemandes et autrichiennes, la compétition Focus du ZFF a présenté trois films romands, dont deux documentaires. Dans Cascadeuses (sortie le 9 novembre), son premier long métrage, Elena Avdija s’intéresse à des femmes ayant fait le choix d’un métier essentiellement masculin. En filmant des cascadeuses, c’est aussi en filigrane la représentation des femmes à l’écran qu’elle met en lumière, ces professionnelles de la baston et des chutes doublant en effet le plus souvent des personnages subissant la violence des hommes. Cet excellent documentaire lui a valu Œil d'or du meilleur film.

Sur une des héroïnes de «Cascadeuses»: Petra Sprecher, la Bâloise dont la vie ne tenait qu’à un fil

Antoine Cattin est quant à lui parti tourner Holidays (sortie non agendée) à Saint-Pétersbourg. Prenant comme fil rouge des fêtes et parades, dans le pays qui compte le plus de jours fériés, il montre des scènes de la vie quotidienne et des gens ordinaires. Impossible, bien sûr, de ne pas voir le film comme le reflet de vies qui, d’une manière ou d’une autre, sont aujourd’hui impactées par la guerre, avec une liberté d’expression et des droits humains totalement piétinés, et un Kremlin poutinien transformant la Russie en dictature géante.

Reportage sur le tournage: Coups de «Foudre» dans le Binntal

Après sa première mondiale au récent San Sebastian Film Festival, Foudre (sortie non agendée) a également eu les honneurs de Focus. Premier long métrage de Carmen Jaquier, il sidère par sa maîtrise formelle et narrative, porté par des séquences nocturnes éclairées comme des toiles de Rembrandt. L’histoire se déroule dans un petit village des Alpes, en 1900. A la suite du décès brutal de sa sœur aînée, Elisabeth, 17 ans, est rappelée du couvent où elle allait prononcer ses vœux pour aider ses parents et ses deux cadettes aux champs. Comprenant peu à peu comment sa sœur est morte, elle va être confrontée, sans trop savoir quoi en faire, à la montée de son désir pour les garçons du village. Foudre est un drame familial et rural, mais aussi une œuvre féministe parlant d’émancipation au sein d’un cadre ultra-conservateur et patriarcal.

Enfin, à signaler encore, la présence dans la section ZFF pour enfants de Colombine (sortie le 9 novembre), de Dominique Othenin-Girard, réalisateur s’étant essayé à tous les genres, entre l’Europe et les Etats-Unis, d’un épisode de l’anthologie policière Série noire (Piège à flics, 1986) au téléfilm historique de luxe (Henry Dunant, du rouge sur la croix, 2006) en passant par l’épouvante (Halloween 5: La Revanche de Michael Myers, 1989). En partie tourné durant la Fête des Vignerons 2019, Colombine raconte l’histoire d’une fillette usant d’une fiole magique pour tenter de lever le voile sur un secret de famille autour d’un père qu’elle ne connaît pas. Malgré quelques incohérences scénaristiques et une mise en scène forcément rendue compliquée par un tournage dans l’urgence, le film est plutôt plaisant dans sa manière d’inscrire une fiction au cœur d’un événement historique.


Palmarès: l'Œil d'or du meilleur film est allé à «Cascadeuses» d'Elena Avdija (Focus), Los reyes del mundo» de Laura Mora Ortega (Compétition fiction) et «Sam Now» de Reed Harkness (Compétition documentaire).