Ursula Meier n’aura pas réussi la passe de trois. Après avoir remporté le Quartz du meilleur film de fiction en 2009 pour Home, puis en 2012 pour L’Enfant d’en haut, elle s’est inclinée cette année face à Trois hivers, un intense drame alpin et familial réalisé par le Lucernois Michael Koch, sorti mercredi dernier dans les salles romandes. Avec six nominations, ce film à la narration ténue, transcendé par une mise en scène détournant une approche parfois naturaliste à travers des cadres savamment élaborés, était le grand favori. Il repart finalement de la cérémonie des Prix du cinéma suisse 2023 avec un seul trophée, même s’il s’agit du plus prestigieux.

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Avec La Ligne, son troisième long métrage de cinéma, Ursula Meier rafle par contre trois Quartz sur cinq nominations. Outre le Prix du scénario, qu’elle partage avec Antoine Jaccoud et Stéphanie Blanchoud, son film est salué pour son casting. La chanteuse et comédienne Stéphanie Blanchoud, qui est donc aussi à l’origine du projet, est sacrée meilleure interprète féminine, tandis que la jeune Elli Spagnolo reçoit le prix non genré du second rôle. Tenante d’un cinéma construit autour de personnages forts, Ursula Meier se voit ainsi justement récompensée pour son travail de casting et de direction d’actrices, elle qui avait jadis découvert et lancé Kacey Mottet-Klein. «Ce que tu arrives à faire de nous est extraordinaire», a souligné Stéphanie Blanchoud. Manfred Liechti est quant à lui, sans surprise, sacré dans la catégorie interprétation masculine pour sa performance tendue dans Peter K. – Seul contre l’Etat, de Laurent Wyss, où il incarne celui qu’on a baptisé «le forcené de Bienne».

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Un seul film remporte deux Quartz, et il s’agit aussi d’une production romande. Foudre, premier long métrage de Carmen Jaquier (sortie la semaine prochaine), d’une maîtrise formelle remarquable et racontant une histoire d’émancipation féminine dans le Valais de 1900, reçoit le Prix du meilleur son et le compositeur genevois Nicolas Rabaeus celui de la meilleure musique. De son côté, pour compléter ce joli tir groupé welsch et féminin, Elena Avdija remporte avec son premier long le Prix du meilleur documentaire. Dans Cascadeuses, elle suit le quotidien de trois femmes ayant choisi d’exercer un métier de l’ombre et encore essentiellement masculin. Son film parle de cinéma, mais aussi de la représentation des femmes à l’écran.

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Documentaires au féminin, aussi, avec le très sensible et personnel (Im)mortels, de Lila Ribi, qui vaut à l’expérimentée Karine Sudan le Prix du meilleur montage, et avec l’essentiel Je suis Noires, de Juliana Fanjul et Rachel M’Bon, sacré avec sa durée de 52 minutes dans la section court métrage. Comme l’ont rappelé les coréalisatrices, Je suis Noires est un film politique. Traitant de la question encore taboue du racisme en Suisse, il est nécessaire pour faire débat.

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Enfin, c’est à la productrice zurichoise Ruth Waldburger qu’est revenu le traditionnel Prix d’honneur. Et enfin, à travers le montage qui lui a été consacré, on a pu voir un court extrait d’un film de Jean-Luc Godard, qu’elle a longtemps accompagné. Car lors du traditionnel hommage aux «chers disparus» de l’année, aucune image des filmographies magistrales de JLG et Alain Tanner. C’est décevant au vu de leur aura internationale, et la soi-disant modestie helvétique n’est pas une excuse.


Le palmarès complet

Meilleur film de fiction: Trois hivers, de Michael Koch

Meilleur documentaire: Cascadeuses, d’Elena Avdija

Meilleure interprétation féminine: Stéphanie Blanchoud dans La Ligne, d’Ursula Meier

Meilleure interprétation masculine: Manfred Liechti dans Peter K. – Seul contre l’Etat, de Laurent Wyss

Meilleure interprétation dans un second rôle: Elli Spagnolo dans La Ligne, d’Ursula Meier

Meilleur scénario: Stéphanie Blanchoud, Ursula Meier et Antoine Jaccoud pour La Ligne

Meilleure photographie: Silvan Hillmann pour Unrueh, de Cyril Schäublin

Meilleur montage: Karine Sudan pour (Im)mortels, de Lila Ribi

Meilleur son: Carlos Ibañez-Diaz et Denis Séchaud pour Foudre, de Carmen Jaquier

Meilleure musique de film: Nicolas Rabaeus pour Foudre, de Carmen Jaquier

Meilleur court métrage: Je suis Noires, de Juliana Fanjul et Rachel M’Bon

Meilleur film d’animation: The Record, de Jonathan Laskar

Meilleur film de diplôme: Ours, de Morgane Frund

Prix d’honneur: Ruth Waldburger, productrice

Prix spécial: Barbara Fischer et Giles Foreman, coachs d’acteurs