Ne boudons pas notre plaisir, c’est historique: pour la première fois dans l’histoire de l’audiovisuel helvétique, les curieux peuvent découvrir une série alémanique en même temps que son lancement outre-Sarine, avec la diffusion classique et surtout par la grâce de la nouvelle plateforme Play Suisse, qui permet le visionnage à choix et en version originale sous-titrée. L’événement est à la mesure du pari de la fiction. Production de Zodiac pour SRF et Arte, Le Prix de la paix (Frieden), créée par Petra Volpe (L’Ordre divin), est l’une des plus coûteuses en matière de séries helvétiques, avec un investissement de 8 millions de francs pour six épisodes, une bonne dotation en moyenne européenne. Et cela pour aborder un thème sensible: la Suisse de l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale.

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L’histoire: autour d’une usine de textile

Au printemps 1945, dans un bourg non loin de Zurich, des bus de la Croix-Rouge amènent des jeunes libérés de Buchenwald. Premier souci, les hôtesses, des femmes de la région, dont Klara (excellente Annina Walt), s’attendaient à des enfants de moins de 12 ans, et de fait les âges sont bien plus variés. Ces jours-là, Klara épouse Johann (Max Hubacher), qui va reprendre l’usine de textile du père de celle-ci. Elle doit composer avec son infecte mère, laquelle voit son gendre comme un parvenu incapable et fustige le travail de Klara à l’hospice. Johann veut moderniser la production, il rêve de ces bas nylon que les soldats américains qui sont en Suisse distribuent aux filles pour les draguer. Il faudrait payer des brevets. Sauf si un scientifique allemand qui maîtrise cette matière synthétique peut être extradé vers la Suisse…

En parallèle, le frère de Johann, qui était à la frontière tessinoise pendant la guerre – mais il subsiste un mystère sur ce passé récent – est enquêteur pour le Ministère public de la Confédération. Il fait partie des équipes chargées de traquer les nazis qui sont passés en Suisse. Les pressions des autorités américaines sont fortes…

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Une perpétuelle polémique

Ce copieux résumé laisse deviner, espère-t-on, l’intelligence du traitement de Petra Volpe face à une matière par nature explosive. La scénariste et réalisatrice (dans le cas de L’Ordre divin) aime se frotter à l’histoire – elle a raconté à la RTS: «Dans ce cas, le sujet s’est imposé à moi et m’a obsédée.» Dans la perpétuelle polémique concernant l’attitude de la Suisse pendant et après 39-45, qui va des querelles de la guerre froide jusqu’aux débats actuels sur l’initiative concernant le matériel de guerre en passant bien sûr par la Commission Bergier, Le Prix de la paix fait d’abord figure de nouvelle brique dans la mare. En plaçant dans la bouche de l’un des jeunes déportés «les Suisses, vous êtes comme eux», c’est-à-dire les nazis, l’autrice met le feu aux poudres. «La citation est réelle, elle a été prononcée par un enfant à ce moment. Il y avait un antisémitisme en Suisse comme ailleurs, et ces enfants étaient parfois vus comme des criminels, par des victimes», réplique la scénariste.

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Le grand nombre de points de vue

Pourtant, on peut parier sur le fait que la série, grâce à sa solidité, ne va pas rallumer les fronts intérieurs au sujet du rôle du pays. La créatrice recourt aux meilleurs outils modernes de la fiction sérielle historique, en alternant le grand cadre et les trajectoires personnelles, parfois dominantes selon les épisodes. Surtout, elle sait inscrire ses personnages dans le contexte, avec une puissante variété de points de vue. De toute évidence, il se trouvait aussi bien des Suisses niant l’existence des camps, parce que c’était impensable de la part d’une nation comme l’Allemagne, que des jeunes entrepreneurs voulant se tourner vers l’avant, mais vite empêtrés dans les compromissions passées ou présentes du pays.

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Le titre français n’est pas sot, car c’est bien un prix dont il est question. Le prix que doit payer le petit pays neutre – avec toutes ses trahisons et ses profits – pour se repositionner sur la carte d’une Europe en ruine. «Pour la Suisse, la guerre commence», lance un conseiller national prêt à bien des manœuvres.


«Le Prix de la paix», série de six épisodes créée par Petra Volpe. Sur RTS Un le mardi soir et sur Play Suisse.