Alors qu’il travaillait à la postproduction de Ready Player One, ambitieux film de science-fiction se déroulant dans deux mondes distincts, Steven Spielberg a trouvé le temps de tourner Pentagon Papers, sur la publication par le Washington Post, en pleine guerre du Vietnam, de documents classés secret d’Etat. Un film à la structure classique célébrant le quatrième pouvoir que constituent les journaux et saluant le courage des lanceurs d’alerte. Le voir enchaîner deux longs-métrages esthétiquement et narrativement aussi différents, mais dans le fond tous deux proches de ses préoccupations de toujours, est enthousiasmant.

C’est d’ailleurs loin d’être la première fois qu’il livre coup sur coup deux films que tout semble a priori opposer. Ces sorties prouvent en tout cas qu’à 71 ans il reste un cinéaste habité par un désir viscéral de raconter des histoires. Ce même cinéaste qui, au tout début des années 1970, posait avec le téléfilm Duel la première pierre d’une filmographie devenue l’une des plus imposantes cathédrales du cinéma contemporain.

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Oasis, immensité virtuelle

Ready Player One est adapté d’un roman d’Ernest Cline publié en 2011. On y suit la quête, dans un futur proche, du jeune et solitaire Wade, qui passe son temps à évoluer dans un gigantesque monde virtuel, l’Oasis, sous l’apparence d’un jeune homme branché qu’il a baptisé Parzival. A sa mort, le créateur de cette version 3D de Second Life, cet univers numérique qui avait connu une forte médiatisation au milieu des années 2000, a caché une série d’énigmes offrant à celui qui les résoudra rien de moins que le contrôle absolu d’Oasis.

Wade-Parzival fait ainsi partie des dizaines de milliers de personnes qui rêvent, sous la forme d’avatars leur permettant d’échapper à un vrai monde dévasté par les crises économiques, sociales et climatiques, d’être l’heureux élu. Mais s’il croit s’amuser en recherchant ce graal, le jeune homme va vite apprendre que les vrais enjeux sont bien plus grands: il s’agit surtout d’empêcher une multinationale dirigée par un PDG despotique de prendre le contrôle d’Oasis, ce qui aurait de terribles répercussions dans le monde réel.

Futur aliénant

L’enfance et l’adolescence, la recherche ou la création d’un univers nouveau, la culture pop, la cinéphilie et la science-fiction, genre que le réalisateur a abordé dès la fin des années 1970: Ready Player One est un film profondément spielbergien. Alors qu’on craignait un grand barnum numérique un peu vain, il s’inscrit parfaitement dans la filmographie de l’Américain. Wade peut être vu comme un croisement entre Indiana Jones, Roy Neary (Richard Dreyfuss dans Rencontres du troisième type), Elliott (Henry Thomas dans E.T. l’extra-terrestre) et Peter Banning-Peter Pan (Robin Williams dans Hook), et le film n’est pas sans liens avec A.I. Intelligence artificielle et Minority Report dans sa description d’un futur aliénant.

Dès son générique, qui reprend le tube Jump de Van Halen, Ready Player One pose le grand principe qui l’anime: il célébrera les années 1980, décennie fondatrice dans l’histoire du jeu vidéo où, bien avant les casques actuels de réalité virtuelle, on pouvait par exemple s’amuser à faire rebondir un carré entre deux barres verticales. Durant tout le film, les références à la culture pop vont être nombreuses, tellement nombreuses qu’elles alourdissent parfois inutilement le récit. Outre des clins d’œil à des jeux vidéo cultes et de nombreuses citations musicales, de A-ha à New Order, le cinéma est ouvertement célébré, et pas seulement à travers des teenage movies comme La Folle Journée de Ferris Bueller (1986) ou Breakfast Club (1985).

On croise aussi bien King Kong que le tyrannosaure de Jurassic Park, tout en réentendant le mot qui est peut-être le plus célèbre de l’histoire du cinéma: Rosebud. Et dans une séquence destinée à faire date, Spielberg nous emmène littéralement à l’intérieur du Shining de Kubrick, mais où l’on croisera en lieu et place de Jack Torrance une armada de zombies. Malgré une trop longue bataille finale, Ready Player One propose au-delà du divertissement une intéressante réflexion sur le futur de la réalité virtuelle, son potentiel fou comme ses dérives possibles. Car, dans le fond, la création d’un Oasis n’a jamais semblé aussi proche.


Ready Player One, de Steven Spielberg (Etats-Unis, 2018), avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Lena Waithe, Simon Pegg, Mark Rylance, 2h20.