«Alors, Kate Winslet, elle est comment en vrai? Et c’est vrai qu’il a l’air plus petit dans la vie, George Clooney?» Changez les noms de ces stars par ceux de n’importe quelle autre vedette et vous obtenez le type de questions qui sont le plus souvent posées à un journaliste culturel, a fortiori de cinéma. Après quelques années de métier, le critique, forcément rompu aux rencontres qui lui faisaient perdre tous ses moyens à ses débuts, s’efforce de ne pas décevoir son interlocuteur. Ne pas dire: «Ben, ce sont des êtres humains comme toi et moi.» Mais en rajouter un peu: «C’est incroyable comme ils parviennent à rester humains comme toi et moi: imagine-toi qu’elle/il m’a rempli mon verre d’eau!» Surtout, éviter d’avoir l’air blasé.
A quelques occasions toutefois, même l’intervieweur le plus aguerri retrouve une authentique fébrilité dont, paradoxe absurde du passeur, il ne devra rien laisser paraître, ou à peine, dans son compte rendu. Ce fut le cas en septembre dernier, lors de la Mostra de Venise, quand mon nom s’est retrouvé sur la liste des rares envoyés spéciaux invités à rencontrer Hayao Miyazaki. Au Japon, l’auteur des dessins animés «Princesse Mononoké», «Le Voyage de Chihiro» ou, dès mercredi 8 avril sur les écrans romands, «Ponyo sur la falaise» est considéré comme un dieu vivant. Et les cinéphiles du reste du monde ne sont pas loin de partager cet avis.
A quoi ça ressemble, un dieu? A la gentillesse et la prévenance incarnée: assis dans les jardins de l’Hôtel des Bains, sur le Lido de Venise, le presque septuagénaire s’enquiert de savoir si la fumée de ses cigarettes n’incommodent personne, encourage à poser toutes les questions sans tabou et s’émerveille du point de vue occidental sur son œuvre. Seule sa belle barbe et ses cheveux blancs rappellent son âge. Seul son costume gris soigneusement coupé signale sa fortune. Car ce qui brûle derrière ses yeux malicieux, c’est une jeunesse et une simplicité intactes. Au cours des quarante minutes de la rencontre, pas un mot pas un geste ne dit l’extrême fermeté éthique qui l’a également porté là où il règne. Où est le Miyazaki, fâché par le sort réservé par Disney à son premier film personnel, qui a été capable d’interdire la diffusion de ses films hors du Japon pendant dix ans? Et où se cache le Miyazaki qui refuse obstinément que ses œuvres soient déclinées en jeux vidéo, afin, dit-il, de ne pas contribuer davantage à l’abrutissement des jeunes générations? Certainement pas dans sa franche poignée de main d’au revoir, ni dans ce sourire avec lequel, suprême élégance, il donne à chacun de ses interlocuteurs le sentiment d’être au moins aussi important, sinon plus, que lui.
Cet entretien exceptionnel est l’élément central du dossier que nous consacrons à l’animation japonaise dans le Samedi culturel du 4 avril et que nous vous invitons à découvrir.