Cinéma
Après son succès de «Viva la libertà», le cinéaste italien quinquagénaire signe une ambitieuse fable politico-philosophique, avec un beau casting international. Rencontre avec un homme de culture résolu qui prend ses responsabilités dans un monde livré aux lois de l’économie

Cinéaste encore méconnu hors d’Italie, le Sicilien Roberto Andò en est tout de même à sa troisième sortie suisse sur six films. Après «Le Prix du désir» («Sotto falso nome», 2004), thriller littéraire avec Daniel Auteuil, et «Viva la libertà» (2013), comédie politique avec Toni Servillo, le voici qui réunit ces deux grands acteurs dans une étrange fable philosophique polyglotte: «Confessions» («Le Confessioni»).
Le premier y joue un directeur du FMI qui a convié les principaux ministres de l’économie à une sorte de G8, le second un chartreux figurant parmi un trio d’invités de la société civile. L’occasion pour cet élève de Leonardo Sciascià et de Francesco Rosi, metteur en scène au théâtre de Harold Pinter et de Moni Ovadia, de porter un regard résolument décalé sur ce pouvoir économique trop souvent considéré comme intouchable.
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Le Temps: Après un film sur la politique et son imposture, un film sur le pouvoir réel, l’économie?
Roberto Andò: On peut avoir l’impression d’un enchaînement logique, mais le lien avec mon film précédent ne m’est apparu qu’a posteriori. C’est le personnage du moine qui m’est venu en premier, un homme mystérieux, sans biographie ou psychologie réductrice, vite suivi par l’idée de le confronter aux puissants de ce monde, dans cette sorte de lieu rituel qu’est un G8. Avec de tels événements, qui se tiennent le plus souvent dans des lieux isolés, il est difficile d’échapper à l’impression que l’essentiel reste secret, qu’il ne s’agit plus du tout de démocratie. Alors, fiction pour fiction, et comme déjà dans le film précédent, je m’amuse à déstabiliser un peu ce pouvoir en le confrontant à quelque chose d’inattendu.
– Les cinéastes hésitent en général à se confronter à ces hautes sphères économiques, Par sentiment d’incompétence?
– C’est un tort. Il faut bien sûr se renseigner pour lancer son imagination sur des bases réelles. J’ai un peu enquêté sur les moines cartusiens et j’ai rencontré un responsable italien de l’organisation de ce type d’événement. C’est d’ailleurs lui qui a attiré mon attention sur cette tradition d’inviter des personnalités extérieures – en général des artistes qui se sont fait les porte-parole des pays pauvres. Quant au lieu de tournage, le Grand Hotel Heiligendamm, près de Rostock sur la mer Baltique, il avait accueilli un vrai G8 en 2007. Dans l’architecture, on devine encore l’hôpital qu’il a été autrefois, sous les communistes de RDA ou même déjà sous les nazis. Une fable a besoin de tels fondements réalistes pour pouvoir se déployer. Même l’équation financière du banquier est réelle!
– Ce film qui mêle thriller, drame et comédie politique pour mieux taquiner la philosophie n’est pas sans rappeler votre compatriote, le grand écrivain Leonardo Sciascià…
– Je l’ai beaucoup étudié et même bien connu, alors j’assume. Par contre, j’apprécie moins le lien direct qu’ont voulu faire certains avec son roman «Todo modo», où il est question d’un parti qui se réunit dans une retraite monastique. Il s’agissait d’une allégorie très violente de la Démocratie chrétienne alors au pouvoir, qui a suscité un scandale. En 1976, le film qu’en a tiré Elio Petri a même été retiré de l’affiche alors qu’il avait du succès et a comme disparu de la circulation, ce qui en a fait une sorte de film maudit. D’accord, il y avait déjà là un huis clos et un mort. Mais au contraire de Sciascià et de Petri, qui avaient d’ailleurs opté pour des assassins différents, j’ai voulu partir sur une hypothèse de Bien. Et cela fait une différence énorme!
– Parce que religion et pouvoir ont fini par se séparer en Europe?
– Mon religieux est plus franciscain, ou janséniste, que catholique; en tout cas pas impliqué dans le vieux compromis italien. Avec son vœu de pauvreté et de silence, c’est un véritable excentrique. Son point de vue absolument non idéologique et il aurait même une sorte d’innocence enfantine… En fait, la théologie d’aujourd’hui, le dogme, ce serait plutôt l’économie. Avec pour serviteurs ces hommes presque tous passés par la banque et qui vous présentent leurs solutions comme les seules possibles! Depuis la dernière crise, on commence heureusement à entendre d’autres tendances, qui voient un problème au fossé toujours croissant entre riches et pauvres et proposent des alternatives à l’austérité. J’ai eu envie d’explorer tout cela à travers cette idée de la confession, où le moine deviendrait le gardien de leurs secrets, jusqu’au plus intime.
– Le film risque de prendre à contre-pied ceux qui s’attendent à un genre précis…
– C’est le propre de la fable. Sauf qu’aujourd’hui, une grande partie de la critique ne semble plus pouvoir imaginer qu’un mystère puisse rester entier, une mort sans coupable, ou qu’un film puisse chercher à représenter un vide! Par extension, c’est comme si on n’arrivait plus à remettre en question le fonctionnement de notre société. Or, le principal intérêt du film est justement de déterminer de quoi ça peut bien parler, au-delà des règles et des rituels, à travers cette présence incongrue et poétique de ce moine.
– L’emploi de Toni Servillo accentue une certaine parenté avec le cinéma de Paolo Sorrentino…
– Ecoutez, Sorrentino est un cinéaste très doué et un ami, mais de là deviner son influence partout! Vous avez vu sa série «The Young Pope»? On voit bien qu’il vient de la culture pop, par son vocabulaire visuel aussi bien que son emploi de la musique. Il cherche une forme de caricature. Je pense que je demande autre chose à Toni. Il a enlevé son masque pour se glisser avec une surprenante volupté dans la tunique des chartreux. Ecoutez aussi la musique de Nicola Piovani, qui est magnifique… En fait, je trouverais plus normal que l’on pense à Ermanno Olmi. Mais lui, aucun critique italien ne l’a mentionné.
– Est-il vrai que Roman Polanski devait à l’origine tenir un rôle?
– Oui, il avait signé. Mais c’est à ce moment que les Polonais ont décidé de rouvrir cette vieille affaire de viol et lancé une demande d’extradition. Il a été contraint de renoncer et c’est Lambert Wilson qui l’a finalement remplacé – très bien, d’ailleurs. C’est surtout terrible pour Polanski, qui a vu son projet de film sur l’affaire Dreyfus stoppé, tout ça pour d’obscures raisons politiques.