Cette série qui tétanise la planète
Déferlement des effroyables zombies d’au-delà du mur du nord, hécatombe parmi les héros qui vivent encore – à Westeros, ils tombent comme des mouches –, apparition de nouvelles figures: les spéculations se déclinent en millions de discussions, de tweets, de lignes d’affichage sur Facebook. Avec son cadre d’heroic fantasy soigné et ses guerres claniques aussi complexes que meurtrières, Game of Thrones fascine tout autour de la planète.
Rarement, jamais peut-être, série n’a été aussi attendue à chacun de ses retours. Sinon par tout le monde, en tout cas par une foule globale d’une extraordinaire hétérogénéité: des quartiers populaires aux éminences académiques – comme le Français Dominique Moïsi, qui l’analyse en termes de géopolitique dans un récent ouvrage –, le feuilleton inspiré des romans de George R. R. Martin saisit toutes les classes. Même Barack Obama a usé de son privilège de président pour obtenir les épisodes avant leur diffusion.
D'ultimes saisons abrégées
Le brouhaha est tel qu’une récente nouvelle a finalement reçu un écho plutôt modeste. Il y a une semaine, David Benioff, cocréateur avec D. B. Weiss, a indiqué que les saisons 7 et 8 devraient être plus courtes. Elles ne s’étendraient que sur 13 épisodes au total, contre 10 par saison depuis le début. La septième aurait ainsi sept volets, et l’ultime, six seulement. «Nous arrivons à la fin. Même si rien n’est gravé dans la pierre, c’est ce que nous souhaitons faire», a indiqué le scénariste.
Voilà qui est presque aussi passionnant que les palabres et tueries à l’écran. Depuis le début, Game of Thrones représente une curieuse expérience en termes d’adaptation, puisque les auteurs ont pris la fâcheuse habitude d’aller plus vite que les romans de George R. R. Martin. Ils condensent des scènes, en allongent d’autres, mais au final, ils brûlent la matière livresque trop rapidement.
Le romancier ne s’en offusque pas. Il y a déjà deux ans au Festival du film de Neuchâtel, il racontait au Temps: «J’étais davantage impliqué dans la série au début. Puis les chemins ont un peu divergé. Certaines différences s’accentuent, c’est normal.» Il a ses romans à écrire, et il est lent, on ne peut pas tout faire, les scénaristes en chef (showrunners) ont donc libre cours pour conduire leur boutique sanglante. La rupture livres-romans n’est pas fraîche, mais elle a été consommée dans une scène décriée de la saison 5, qui a choqué certains fidèles lecteurs de l’écrivain à la casquette de marin.
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Une manœuvre tactique?
La déclaration des deux créateurs du feuilleton surprend autant par son contenu que par le moment de son annonce. Il est impensable que le duo ne se soit rendu compte de la réduction de son capital fictionnel que maintenant. Cette confession tombe donc à un moment calculé, peut-être pour générer un manque que, soudain, un nouveau projet comblerait. Comme de juste, cette semaine, les auteurs ont évoqué l’idée d’une série dérivée – provoquant, cette fois, la colère du géniteur de Tyrion et les autres.
Où il apparaît que le monde réel des salles de scénaristes est presque aussi cruel que les trahisons chez les Sept Couronnes. Cette agitation-là a le mérite de rappeler que, depuis son inspiration originelle, Les Rois maudits, jusqu’aux plus extrêmes fabulations des fans, Game of Thrones représente d’abord un formidable chantier narratif.
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