Sous-titré «L’Enchanté», ce final était supposé faire renaître l’espoir après la désolation du précédent. Mais ce n’est pas vraiment ce qu’on a ressenti. Au contraire, avec ses deux parties bien distinctes, l’une de fiction illustrant la fugue d’une Schéhérazade qui doute de pouvoir encore raconter des histoires qui plaisent à son cruel roi, l’autre documentaire sur une communauté de passionnés s’adonnant à des concours de chant de pinsons, on y aura plutôt vu un déséquilibre et un collage forcé avant de subir un certain épuisement.
Un voleur nommé Elvis
L’ouverture, filmée en 35 mm du côté de Marseille (coproduction française oblige), entre Château d’If et Calanques, devait être merveilleuse. Elle paraît surtout très décousue, avec notre conteuse s’échappant du palais en quête d’enchantement, faisant diverses rencontres et finissant par retrouver son père, le Grand Vizir, qui la rappelle à l’ordre. Dans cette version, Bagdad est située sur une île, Schéhérazade (Crista Alfaiate) se laisse presque séduire par un bellâtre serial procréateur du nom de Paddleman, capture un génie du vent dans une lampe puis croise encore un voleur heureux (mais qui finira mal) du nom d’Elvis, sans oublier des promeneurs d’aujourd’hui. Pour finir, le cinéaste lui-même apparaît sous une grande roue où père et fille se trouvent tendrement réunis, avant qu’elle ne reprenne ses récits en voix off.
Apprendre aux pinsons à chanter
Même avec l’appui de textes surabondants imprimés à l’écran, tout ceci peine à faire sens. On est intrigué, mais le sortilège des volets précédents est rompu. Suit «Le chant enivrant des pinsons», sur ces hommes qui, aux abords de l’aéroport de Lisbonne, s’adonnent à la capture (illégale) de pinsons pour leur réapprendre à chanter (en leur faisant écouter des enregistrements). Ici, le film renoue avec ses débuts en forme de documentaire social, en allant regarder du côté des déshérités, sous-prolétaires d’un ancien bidonville relogés dans des barres modernes. Sauf que ceux-là ne paraissent plus à une crise près et que cette fois, le récit paraît de bien longue haleine, s’étendant sur de nombreuses «nuits» et les trois quarts du «volume».
Lecture floue
Le démiurge Gomes redevient simple observateur attentif, ne s’autorisant plus qu’une dernière embardée narrative: l’histoire de Forêt Chaude, une étudiante chinoise venue à Lisbonne qui y a rencontré un policier dont elle est devenue la maîtresse, bientôt abandonnée. Le tout raconté off en mandarin sous-titré sur fond d’images d’une grande grève de la police, avant de revenir aux pinsonniers, parmi lesquels on aura reconnu le vieux Chico Chapas, qui incarnait le bandit Simão Sem Tripas dans le volet précédent.
C’est sans doute là que se joue l’appréciation globale du projet. Volet à la fois le plus radical et le plus désinvolte du triptyque, forcément génial pour les inconditionnels, «L’Enchanté» risque surtout de rester illisible. Est-on censé trouver ces concours magnifiques ou dérisoires? Y voir la métaphore d’un chant captif ou y lire la nostalgie d’une nature et d’une révolution perdues? On y pense, mais on s’ennuie aussi un peu. D’où une expérience en demi-teinte qui clôt de manière peu satisfaisante ce film démesuré.
Les Mille et Une Nuits, vol. 3: L’Enchanté (As Mil e Uma Noites, vol. 3: O Encandado), de Miguel Gomes (Portugal, France, Allemagne, Suisse, 2015), avec Crista Alfaiate, Américo Silva, Carloto Cotta, Chico Chapas, Bernardo Alves, Guo Jinglin. 2h06.