Les nouveaux éclats du nord

La création TV nordique s’est révélée au monde avec l'haletante The Killing, puis Borgen. Après un temps d’arrêt, les fictions scandinaves explosent, et de nouveaux pays se mettent sur la carte. En six parties, notre exploration des nouvelles perles du nord.

Il faut écouter Sophie Petzal, scénariste anglaise. Cette jeune femme mince comme un fil de fer, qui s’anime lorsqu’elle parle en faisant vibrer l’air ambiant, travaille notamment sur la série Wolfblood, une histoire de loups-garous qui triomphe chez les ados. Récemment invitée par le Festival du film fantastique de Neuchâtel pour un séminaire sur les séries, elle lançait: «Les Scandinaves ont tout changé. The Killing a radicalement modifié la manière dont on écrit une série policière, en déplaçant l’axe sur la famille de la victime. Et The Bridge a changé la construction des personnages.»

C’est une scénariste anglaise qui s’exprime ainsi. Le journaliste suisse lui fait remarquer qu’elle représente la plus grande tradition de l’histoire de la TV – les séries anglaises, donc. Qu’importe, elle insiste: à ses yeux, ces dernières années, «l’innovation a été scandinave».

Le triomphe de «The Bridge»

Bron/Broen (The Bridge), est une série d’initiative suédoise, créée par Hans Rosenfeldt. Après avoir survécu au départ de l’acteur masculin à la fin de la saison 2, la série a brillamment rebondi en saison 3. Fait rare pour une série du nord, où les chaînes préfèrent ne pas s’appesantir pour permettre à de nouveaux projets d’éclore, Bron/Broen a récemment été confirmée pour une quatrième saison.

SF et fantastique

Ces dernières années, la fiction TV suédoise a prouvé sa capacité à embrasser une large palette. Y figure bien sûr le polar classique, avec par exemple les adaptations des romans de Camilla Läckberg – discutables, l’écrivaine elle-même les condamne, mais qui demeurent de sympathiques enquêtes en cité côtière aux jolies façades colorées. Les créateurs suédois ont aussi abordé le thriller de science-fiction, un genre plus difficile à tenir en TV, avec l’intéressante Real Humans.

Autre défi, la série récemment montrée par Arte, qui sort en DVD: Jordskott, une étonnante tentative de croisement entre le polar et le fantastique. L’investigation de cette policière autour d’une mort, et après le décès de son père, à proximité d’une mystérieuse forêt, a ses défauts, l’exercice reste toutefois bien tenté.

Denis Lavant décapité, c'est en Suède et nulle part ailleurs

A la rentrée, Canal + bousculera les amateurs… en décapitant Denis Lavant. L’acteur fétiche du cinéma et du théâtre indépendants français figurera dans Jour polaire, l’une des séries fortes de la chaîne payante pour 2016. Afin de faire l’événement, les dirigeants de Canal + se sont tournés vers la Suède, où ils ont convaincu deux scénaristes de l’équipe de Bron/Broen de leur fabriquer une série. Résultat, une enquête serrée sur la disparition d’un citoyen français dans les contrées les plus nordiques de Suède. Et c’est ainsi que Denis Lavant perdit la tête.

«Blue Eyes», série à voir

Le ramdam sera grand, mais il y a plus fort encore. Sans diffuseur francophone à cette heure, éditée avec sous-titres anglais, Blå ögon (Blue Eyes) vaut le détour, sans attendre. Montrée dès l’automne 2014 en Suède, cette série aborde la montée de l’extrême droite dans un pays européen comme on ne l’a encore jamais vue dans une fiction TV.

Le récit est multiple. D’un côté, une jeune femme est appelée pour devenir secrétaire générale du Ministère de la justice, alors que s’accumulent les questions quant à la disparition de la prédécesseure à ce poste. Dans le même temps, une militante nationaliste est tuée, des extrémistes d’ultra-droite s’agitent, et même, des néonazis passent à l’action en tuant des pédophiles présumés ou autres personnes qu’ils considèrent comme des rebuts de la société.

Toujours directe, presque ambiguë dans la froideur de sa description, Blue Eyes, créée par Zoula Pitsiava, Mia Sohlman, Alex Haridi et Robert Aschberg, constitue l’expérience actuelle la plus radicale de fiction TV politique en Europe.

Hans Rosenfeldt, vedette européenne

Et pour bien comprendre la puissance expansive de la création TV suédoise, il faut boucler la boucle, revenir à Hans Rosenfeldt. Le maître d’œuvre de The Bridge, qui a été adaptée dans le tunnel sous la Manche et sur la frontière américano-mexicaine, a récemment conduit sa première série anglaise, entièrement fabriquée à Londres et Douvres.

Durant 10 épisodes, Marcella repose à nouveau sur un personnage féminin extrême, une ancienne policière ravagée par le départ de son mari, qui va reprendre du service dans le cadre d’une enquête particulièrement sordide. La piste suédoise s’approfondit.


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