«Show Me a Hero», passionnant concentré de politique américaine
Série TV
La dernière création de David Simon («The Wire») suit les violents débats suscités par la construction de logements sociaux dans une banlieue de New York. Une chronique d’Amérique

Par rapport à sa diffusion originale, l’été dernier, «Show Me a Hero» sort bien tard en DVD. Cependant, alors que les primaires font tressauter l’Amérique, cette publication tombe à point nommé. En une mini-série de six épisodes, voici un passionnant concentré de politique américaine, dans ce qu’elle a de glorieux comme d’effarant.
Basée sur une histoire réelle, narrée dans un ouvrage de Lisa Belkin (pas traduit), «Show Me a Hero» – c’était le titre du livre – repose sur une citation de Francis Scott Fitzgerald: «Montrez-moi un héros, et je vous écrirai une tragédie.» Ce qui laisse planer une menace tragique, dont l’aboutissement, pourtant, surprend.
Explorons Yonkers, banlieue de New York
En premier lieu, cette nouvelle création de David Simon peut dérouter par le caractère politico-judiciaire de son propos. La mini-série couvre la vie communautaire de Yonkers, cité-banlieue de New York, entre 1987 et 1992. Un juge a ordonné la mise en œuvre d’un programme de logements subventionnés. Dans l’équipe de juristes qui pilotent ces dispositions, un stratège urbaniste prône la mixité. Certains quartiers habités par des Blancs plutôt favorisés devront accueillir des logements sociaux – autrement dit, il y aura des voisins latinos et noirs. Le maire et ses adjoints refusent. L’un d’eux (Oscar Isaac) se situe d’abord sur cette ligne; une fois élu maire, peu à peu, il change de camp et devient défenseur du mélange des classes.
Le parcours de Nick Wasicsko constitue la trame de l’histoire. Mais à l’instar de Treme, la précédente série de David Simon, «Show Me a Hero» explore tous les milieux concernés, le microcosme politique, les familles de deux jeunes femmes afro-américaines, une mère célibataire hispanique, une retraitée d’abord déterminée à combattre les nouvelles maisons…
Tant de communautés qui ne veulent pas vivre ensemble
L’enjeu prend une dimension considérable et emblématique, raison pour laquelle cette péripétie banlieusarde a tant marqué. Le racisme n’est jamais très loin et sans lui, déjà, il y a choc de communautés qui ne veulent pas vivre ensemble. Un pays déchiré se raconte par ces tensions de groupes vivant à quelques encablures les uns des autres.
«Show Me a Hero» n’assène pas un message désespéré; après tout, elle décortique une démocratie en marche, capable d’engager des débats et des démarches de proximité qui ont leur sens. Mais dans ce cadre surviennent les débordements, les rancunes, et ainsi se figent des destins.
David Simon pousse le curseur encore un peu plus loin
Actuellement, David Simon élabore une série sur le milieu du porno à Manhattan dans les années 1970 -1980, avec son compère auteur de polars George Pelecanos. De quoi faire saliver les fidèles. D’ici là, «Show Me a Hero» a tout pour faire fuir certains sériephiles, et fasciner les autres. Cette fois avec l’appui de William Zorzi, naguère parmi les auteurs de «The Wire», David Simon pousse encore un peu plus loin l’auscultation critique de son pays. Aussi, il radicalise non le propos, mais la narration: le récit choral devient l’enjeu en soi.
«The Wire» avait ses enquêtes policières comme colonnes vertébrales au fil des saisons; en 2008, «Generation Kill» suivait l’incorporation d’un journaliste dans un bataillon américain en Irak; «Treme» se nouait autour de la tension post-Katrina à La Nouvelle-Orléans. A titre de suspense, cette mini-série repose sur la construction de quelques masures pour pauvres. C’est maigre, c’est ce qui fait la grandeur de cette chronique d’une certaine Amérique. Ce pays qui, tous les quatre ans, se rêve plus juste.
A propos de David Simon
- Archive: notre interview en 2009, «Je veux raconter l'autre Amérique»
- Sur «Generation Kill»: L’ensablement d’une armée
- Reportage: «Treme», dans la ville qui ne coulera jamais