A l’occasion de ses 20 ans, Le Temps propose sept explorations thématiques, sept causes. Durant l’été, nous nous intéressons au boom de créativité qui anime la Suisse depuis quelques années. Cette semaine, une série de portraits de programmateurs musicaux.

Lire aussi:

Notre page spéciale:

La créativité suisse

Le cinéma romand contemporain a son maître absolu (Jean-Luc Godard), son mouvement fondateur (le Groupe 5), ses mousquetaires (Bande à Part). Demeure cette question: y a-t-il un cinéma romand, comme il y aurait un cinéma alémanique ou tessinois? Faire d’une limitation géographique un genre est forcément réducteur. Le cinéma, en Suisse romande comme partout dans le monde, est multiple, pluriel, protéiforme, insaisissable. Il vit en grande partie grâce à la coproduction internationale, il se fait ici comme ailleurs, à l’image de Julie Gilbert et Frédéric Choffat, qui viennent de tourner leur nouveau long métrage (My Little One) en Arizona, sur le territoire des Indiens navajos. Tandis que Germinal Roaux a, lui, réalisé Fortuna dans les Alpes valaisannes.

La Suisse romande a aussi la chance de pouvoir compter sur deux écoles d’art pour aiguiser le regard de celles et ceux qui feront le cinéma de demain. A l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne) et à la HEAD (Haute école d’art et de design de Genève), qui proposent un master commun en cinéma – avec des spécialisations en réalisation, scénario, montage, son et production –, les apprentis réalisateurs apprennent, échangent, rencontrent.

A l’occasion de ses 20 ans, Le Temps défend tout au long de l’année sept causes. Cet été, c’est la «créativité suisse» qui est au cœur de nos préoccupations. C’est ainsi que nous avons décidé de proposer une carte blanche à l’ECAL, qui se trouve à quelques kilomètres de la rédaction. Suite à un premier contact avec Lionel Baier et Rachel Noël, respectivement responsable et coordinatrice du département Cinéma, dix étudiants, dont certains ont depuis obtenu leur diplôme, sont venus ce printemps passer une journée au Temps, afin de s’imprégner de la vie d’un quotidien. Ils ont ensuite réfléchi, en toute liberté, à des idées de films. Au final, cinq projets ont été retenus, reflétant une diversité de formes et d’approches. Réalisés ces prochaines semaines, ces cinq courts métrages seront visibles dans la deuxième quinzaine du mois d’août.


Cinq questions d’aujourd’hui pour cinq cinéastes de demain

1. Qu’est-ce qui vous a amené à étudier le cinéma à l’ECAL?

2. Qu’est-ce qui vous a attiré dans la proposition de réaliser un film autour des 20 ans du «Temps» et du journalisme?

3. Quel est votre rapport aux médias?

4. Quel est le pitch du film que vous allez tourner?

5. Comment imaginez-vous votre futur dans le milieu du cinéma?


Prénom: Adèle

Nom: Beaulieu

Age: 20 ans

Nationalité: Suisse/France

Niveau d’études à l’ECAL: 2e année de bachelor

1. Ayant toute ma famille en Suisse, venir étudier à Lausanne a toujours été une ouverture possible. J’ai franchi le pas en découvrant l’ECAL grâce à̀ un ami qui y avait étudié. J’ai toujours su que je voulais m’orienter dans le domaine du cinéma, mais entrer à l’ECAL m’a inspirée plus je ne l’aurais jamais imaginé. En effet, l’atmosphère ambiante et le mélange des branches permettent une déambulation permanente entre les différents arts et savoir-faire, ce qui est passionnant. Je ne savais pas réellement à quoi m’attendre en intégrant l’ECAL, et même s’il est encore possible aujourd’hui de faire du cinéma sans sortir d’une école, l’apport d’une telle formation n’est pas négligeable.

2. Je suis née presque un mois pile avant la naissance du Temps. Je me suis posé la question du nombre démesuré d’informations qui ont dû, depuis toutes ces années, être échangées, communiquées, débattues, tous ces spectacles critiqués, ces matchs de sport commentés, ces fait divers explorés, ces pages corrigées; cette part de l’histoire et du patrimoine commun dont nous avons été témoins Le Temps et moi-même, en somme. J’ai voulu questionner les rapports que pouvaient entretenir aujourd’hui les jeunes créateurs avec des critiques et des journalistes qui écrivent depuis de longues années. Comment est-il possible de confronter un savoir et une expérience, et surtout comment est-il possible de concilier ces deux mondes, artistique et temporel?

3. Pour ma part, je lis encore beaucoup de presse papier, et particulièrement des magazines d’art, de culture et de société. Il m’arrive parfois de lire sur papier des quotidiens, mais mon contact à l’information passe plus généralement par le biais de la radio ou des réseaux sociaux.

4. Un groupe de quatre élèves comédiens se rend à un rendez-vous dans la rédaction d’un quotidien de la région. En compagnie de deux critiques de théâtre, ils participent à un briefing autour d’un article. En partant d’une proposition des journalistes aux étudiants autour d’un texte – «Qu’attendre du théâtre aujourd’hui?» –, une discussion naît où s’entremêlent analyses et références de spectacles d’hier et d’aujourd’hui. Qu’est-ce que le théâtre contemporain? Comment est-il abordé par les jeunes? Comment les anciens peuvent-ils interagir avec les nouveaux venus de la scène théâtrale et apporter leurs expériences? Comment le passé peut-il avoir une influence sur ce que nous sommes aujourd’hui?

5. Au vu de mon jeune âge et de ma courte expérience, je ne souhaite pas pour l’instant m’arrêter sur une idée fixe où un style particulier de cinéma. Il est certain que je souhaite réaliser, mais j’ai surtout envie d’essayer un maximum de formes, de faire des expériences. Je ne peux pas m’imaginer me conforter dans un domaine sans jamais renouveler mon approche de l’écriture, du tournage, ou mon rapport aux autres; rapport qui me paraît essentiel et fondateur dans tous projets.


Prénom: Lou-Théa

Nom: Papaloïzos

Age: 23 ans

Nationalité: Suisse/Grèce

Niveau d’études à l’ECAL: 1re année de bachelor

1. Mes parents m’ont baignée dans le monde de l’art depuis petite. Le cinéma m’a toujours attirée. Pour mon travail de maturité, je voulais parler de l’homosexualité, un sujet qui me tient à cœur, et je n’ai trouvé aucun autre moyen de le dépeindre que celui de le traduire en film. Sur le tournage, je me suis sentie dans mon élément, et j’ai éprouvé le besoin de retrouver ce sentiment durant mes études. Je m’intéresse à la façon dont on regarde les gens qui sont considérés comme différents, et le film me semble être le médium le plus complet et sensible pour y parvenir.

2. Le cinéma et le journalisme se rejoignent dans leur visée de communication, d’information et de partage. C’était l’opportunité de lier ces deux métiers en un seul, et de créer un objet indissociable, à la frontière entre l’écriture et la vidéo.

3. Le monde médiatique peut être cru, obscur, parfois sans pitié. De nos jours, la jeunesse est obnubilée par l’image qu’elle renvoie. Tout va beaucoup trop vite, tout nous dépasse. C’est pour cette même raison, paradoxalement, que j’apprécie les réseaux sociaux: tout devient potentiellement une opportunité, la porte est ouverte à tous les possibles. C’est une relation d’amour-haine assez primaire que nous entretenons avec les médias. Ils nous détruisent mais nous ne pouvons pas nous en passer. Cependant, le journal et la radio me semblent être deux médias encore honnêtes et fiables.

4. Il s’agit d’un documentaire d’art et d’essai sur les correctrices du Temps, axé sur leur beauté en tant que femmes, leur intelligence et leur rôle indispensable au sein du journal, mais dont on entend peu parler. Une ode à la femme et à la langue française, si on veut bien.

5. J’ai de la peine à me projeter, même dans un futur proche. Mais je suis ambitieuse et j’ai envie de m’améliorer. On verra où le vent me porte, mais l’idée est de continuer dans le milieu du cinéma et de pouvoir en vivre.


Prénom: Nikita

Nom: Merlini

Age: 26 ans

Nationalité: Suisse

Niveau d’études à l’ECAL: 1re année de bachelor

1. Après des études en cinéma à l’université, très théoriques et abstraites, j’ai éprouvé le besoin de m’inscrire dans une école où je suis en contact avec le cinéma de manière plus active et créative. Je me suis donc informé sur les écoles d’art et j’ai vu des courts métrages de diplôme de l’ECAL des années passées. J’y ai découvert une sensibilité narrative et esthétique très suggestive et douce, des qualités très importantes pour raconter les petits gestes du quotidien. C’est une école exigeante où mes idées sont constamment remises en question, une condition que je trouve essentielle pour la maturation et le développement de son propre chemin personnel et artistique.

2. Je pense que le journalisme a des similarités avec le cinéma; ce sont des arts créatifs qui cherchent à transmettre des histoires, qui utilisent des mots et des images, et qui sont donc soumis à l’interprétation. Je me suis penché sur les difficultés que peut avoir un journaliste par rapport à sa créativité et à sa responsabilité. La proposition de réaliser un petit court métrage dans ce cadre m’a donné la possibilité d’entrer dans un monde qui me fascine mais que je ne connais pas, et de me dédier à l’élaboration d’une histoire et d’un personnage fictifs, mais qui peuvent être proches d’une réalité.

3. Je pense que mon rapport aux médias reflète la tendance des jeunes d’aujourd’hui: la jouissance fragmentaire d’articles et de vidéos d’information en ligne, à travers différentes pages web, réseaux sociaux ou sites d’information. Grâce à internet, il est plus facile de trouver des informations issues de sources différentes, et donc d’avoir une «richesse chorale» d’informations sur un sujet ou un événement. Toutefois, je n’arrive pas encore à me libérer du scepticisme que j’ai envers les informations qui viennent du web, surtout à cause du manque de transparence des sources et de la tendance à l’instrumentalisation.

4. Mon projet de court métrage de fiction raconte l’histoire d’un jeune journaliste qui n’arrive pas à faire sortir sa créativité. Plus précisément, il n’arrive pas à trouver un titre pour son article. L’idée m’est venue après que j’ai assisté au Temps au «mur de 16h», ce moment où les maquettes des pages du lendemain sont affichées et vérifiées par les chefs d’édition et secrétaires de rédaction avant d’être finalisées puis envoyées au centre d’impression. C’est là que les petits détails sont mis en discussion. Mon intention est donc de raconter l’histoire d’un personnage en conflit entre sa créativité et sa responsabilité.

5. Je cherche à ne pas penser trop au futur parce que ça me met toujours de la pression. J’espère que, même après l’école, j’aurai la possibilité de réaliser des films qui racontent des histoires qui me parlent et me semblent familières.


Prénom: Sayaka

Nom: Mizuno

Age: 26 ans

Nationalité: Suisse

Niveau d’études à l’ECAL: diplômée, master en réalisation ECAL/HEAD

1. Après mon bachelor en cinéma à la HEAD (Haute école d’art et de design de Genève), j’ai intégré le master ECAL/HEAD car je souhaitais continuer à être encadrée pour apprendre et développer des projets de films avant d’entrer dans le monde professionnel. Ces études supérieures m’ont permis d’ouvrir mes horizons et d’affiner mon regard de cinéaste en devenir.

2. C’est un monde qui me semblait cinématographique, en particulier les rotatives. Cette proposition me semblait intéressante étant donné la situation actuelle de la presse écrite. C’était aussi une manière de rencontrer et de mieux connaître le monde du journalisme. A travers les discussions avec les rédacteurs, j’ai également pu m’apercevoir d’un renouvellement du Temps, qui s’oriente davantage vers le web.

3. Je suis d’une génération qui écoute rarement la radio, regarde peu la télévision, ne lit plus beaucoup le journal, alors qu’internet nous suit partout. Le plus souvent, j’accède aux informations via ce support; mais j’ai un rapport ambigu avec ce média, car il s’agit d’un outil de communication vaste qui n’est pas toujours fiable.

4. La fermeture imminente du centre d’impression d’Adligenswil, où est imprimé Le Temps, met en lumière les difficultés de la presse écrite. La production traditionnelle – imprimeries, rotatives, journaux – laisse progressivement la place à la production numérique. Mon court film est un essai qui tente de saisir ce mouvement, cette transition.

5. Dans l’idéal, je souhaiterais continuer à développer des projets de films et trouver un emploi qui nourrit ma pratique artistique.


Prénom: Mariama

Nom: Balde

Age: 25 ans

Nationalité: Suisse

Niveau d’études à l’ECAL: diplômée, bachelor en réalisation

1. Ma passion pour le cinéma: j’avais le sentiment qu’en entrant dans cette excellente école, que je connaissais de réputation, j’allais apprendre mon métier, mais aussi trouver ma voie propre en tant qu’auteure. Et c’est ce qui s’est passé. Je ne crois pas au formatage qu’on reproche souvent aux écoles d’art. L’autre aspect génial de cette formation, c’est de voir des personnes aussi passionnées vous raconter des histoires de façon personnelle.

2. En Suisse, on n’est pas très doué pour mettre en avant nos talents. C’est une excellente initiative de proposer cela à de jeunes créateurs! Pour moi, c’est une occasion de plus de faire un film et aussi de me plonger autrement dans l’univers de la presse écrite, que je connais un peu. Ma première porte d’entrée dans le monde du cinéma a été les critiques de films et les interviews que j’écris pour des journaux et magazines romands et alémaniques.

3. Ils me permettent de rester informée et d’avoir le sentiment d’appartenir au monde au sens large. Je suis toujours attristée quand la presse et des journalistes – ici en Suisse ou ailleurs – sont mis à mal. Leur travail est essentiel!

4. Je suis une grande fan des caricatures de presse… Chappatte accompagne depuis ses débuts le journal Le Temps: mon film propose de revenir sur 20 ans d’actualités à travers sa personnalité et ses dessins.

5. Je l’imagine avec une longue série de films réalisés avec des personnes de talent. Des films qui reflètent ma vision du monde et qui, je l’espère, inspireront les gens.