Avec «The Crown», Netflix s’offre les joyaux de la Couronne
Série TV
Un seul épisode de «The Crown» coûte presque trois films suisses. Le feuilleton de Peter Morgan sur Elisabeth II joue de la liberté offerte par le diffuseur web

Il y a dans le premier épisode de «The Crown» une scène sublime, basée sur George VI, le père d’Elisabeth II, souverain depuis l’abdication de son frère. Il se sait condamné par le cancer. Un soir dans une résidence de villégiature royale, des villageois, selon la tradition, viennent entonner des chants de Noël. George VI rompt le protocole, rejoint les petites gens, se place parmi eux, les larmes aux yeux, en chantant.
12 millions de francs par épisode
«The Crown» a cette intelligence du cœur. Elle doit encore convaincre sur le plan politique, le plus retors. La série que Netflix a lancée il y a quelques jours représente l’un des projets les plus ambitieux du site de vidéo à la demande: un budget de 121 millions de francs – 12 millions par épisode, près de trois fois le budget d’un seul long métrage suisse soutenu par l’Office fédéral de la culture. Peter Morgan, le maître d’œuvre (créateur, auteur et producteur), qui avait écrit «The Queen», a de la suite dans les idées, et de la précision à revendre. Puisque les Californiens sortent le chéquier sans compter, l'auteur voit loin, multiplie les scènes en extérieur et lieux réels, tourne en Afrique du Sud pour les moments exotiques d’Elisabeth avant même son couronnement, et il envisage pas moins de sept saisons.
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Ce qui fera presque une décennie par chapitre. «The Crown» raconte la vie d’Elisabeth II, qui a célébré ses 90 ans en avril, qui est souveraine depuis 64 ans, le plus long règne en vigueur. La saga commence par son mariage avec Philip Mountbatten en 1947. Puis, donc, le décès du père adoré, en 1952.
Un sentimentalisme convaincant
Les premiers épisodes de «The Crown» sont délicieux de sentimentalisme, au bon sens du terme. Claire Foy («Wolf Hall», et «Vampire Academy») semble représenter le bon choix, avec son regard étourdissant, sa manière d’incarner la lente affirmation d’une femme dans ce monde ancestralement masculin. Peter Morgan, qui écrit tout, tient à cerner au mieux le rapport de la fille avec son père, de la jeune femme à son époux. Le paradoxe est que dans les premiers temps de la série, Elisabeth II n’occupe finalement qu’une place ordinaire dans l’intrigue, parmi d’autres, au milieu des hommes.
C’est le calcul de Peter Morgan, qui exploite à plein la marge offerte par la logique de Netflix: puisque les dix volets sont publiés en un jet, on peut s’en régaler d’une traite, et de l’autre côté de l’écran, le narrateur peut prendre son temps.
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La reine face à Churchill
Il faut attendre le quatrième épisode, qui voit la relation de la jeune reine avec le premier ministre Churchill devenir plus difficile, sur fond d’un dramatique épisode de brouillard mortel sur Londres, pour que la dimension politique apparaisse sur une ligne plus nette.
«The Crown» s’articule ainsi en deux temporalités, la brusque accession au trône d’une jeune femme qui ne pensait pas y monter si vite, et la lente affirmation de cette femme selon les circonstances et les confrontations. Peter Morgan prend son temps, ce sera vu comme un défaut par certains, comme l’atout majeur de cette biographie pour d’autres. Après tout, «The Crown» s’inscrit dans la même offensive européenne de Netflix que Marseille en France. Les Anglais ont de la chance, et les abonnés globaux aussi.
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