Presque personne n’a encore vu Les Aventures de Tintin: Le Secret de la Licorne , mais c’est tout comme. Depuis plusieurs semaines, la plupart des médias brossent la houppe du héros dans le bon sens, celui du vent du succès. Les numéros spéciaux accaparent les kiosques: les rêves d’enfance reviennent en feuilles d’automne. On lit ici une interview du producteur Peter Jackson, là une rencontre avec Jean-Pierre Talbot, le seul homme, oui, le seul, à avoir incarné au cinéma la ligne claire du héros, là encore les confidences de Steven Spielberg. La machine à se réjouir s’emballe. Seul problème, mais de taille: peu de nos confrères avaient eu la chance, jusqu’à mercredi, de visionner le film. Et si ce Secret de la Licorne était une daube ?

Les pragmatiques répondront que cette éventualité importe peu. Parce que c’est Tintin, Hergé, Spielberg. Parce qu’il en va de la bonne santé de nos mythologies. Au Temps, notre position est autre. Comme presque toujours, nous avons voulu voir l’objet, avant de le documenter, de l’interpréter. Notre critique Antoine Duplan a découvert ce Secret mercredi passé, lors d’une séance réservée à la presse. De retour au journal, il a reconnu ses mérites, mais n’a pas crié au génie, de loin pas. Ce qui ne l’a pas empêché, dans ce numéro même, d’expliquer les enjeux d’une réalisation hors du commun.

Tintin a ce mérite: rappeler que, dans la chaîne qui va du créateur au public, le critique est un acteur essentiel. Son métier consiste à proposer une hiérarchie, discutable, mais fondée sur une connaissance profonde de la matière. La vérité qu’il décline est précieuse parce que fruit d’un engagement au long cours. Quand les articles déferlent, quand tout concourt pour faire croire au chef-d’œuvre, il fait bon entendre des voix autorisées.