Tom Hanks, un héros américain
Cinéma
A l’affiche de «La Mission», western humaniste diffusé sur Netflix, l’acteur incarne une nouvelle fois un homme ordinaire au destin extraordinaire

En 1988, il jouait du piano debout. Dans Big, sympathique comédie de Penny Marshall, Tom Hanks incarnait un préado se réveillant un beau matin dans le corps d’un trentenaire. Et dans une scène fameuse, il déridait le patron d’un magasin de jouets en s’éclatant sur un piano-tapis géant… Ce rôle lui vaudra la première distinction de sa carrière, un Golden Globe du meilleur acteur. Suivront entre autres accessits quatre nouveaux Golden Globes, deux Oscars et un Ours d’argent à Berlin. A 64 ans, le Californien est aujourd’hui, selon la formule consacrée, un des plus grands acteurs de sa génération.
On le découvre ces jours dans un des genres emblématiques du cinéma hollywoodien, le western. Dans La Mission, il incarne le capitaine Jefferson Kyle Kidd, un vétéran de la guerre de Sécession arpentant en 1870 un Etat du Texas désormais aux mains des troupes nordistes. Sur le chemin qui le reconduit chez lui, Kidd s’arrête de ville en ville pour gagner sa vie en donnant des lectures publiques de journaux – d’où le titre original du film, News of the World. Mais voilà qu’une fillette va le détourner de sa route.
Johanna a 10 ans et est doublement orpheline. Elevée par des Indiens kiowas, qui avaient tué ses parents, la voici une nouvelle fois livrée à elle-même. Le bureau des affaires indiennes n’ayant pas le temps de s’en occuper, Kidd va décider de la raccompagner chez sa tante et son oncle, la seule famille qui lui reste.
Johanna est issue d’une famille d’immigrés allemands, mais elle ne parle que la langue kiowa. Elle est farouche, sauvage, mais forcément attachante. Pour l’ancien soldat, qui a combattu au sein des troupes confédérées, la mission qu’il va s’imposer semble être comme une rédemption, un moyen d’oublier qu’il a combattu pour les Etats esclavagistes.
Cours Forrest
Coproduction américano-chinoise sortie dans quelques salles américaines, La Mission fait le bonheur de Netflix, qui en a acheté les droits de distribution alors qu’une exploitation traditionnelle était originellement prévue. Forcément, il y a quelque chose de frustrant à découvrir ce long métrage ambitieux sur petit écran. Car même si la mise en scène de Paul Greengrass reste souvent très sage et souffre de quelques effets de montage hasardeux, notamment lors d’une poursuite passant sans ménagement d’une nuit spectrale à un soleil de plomb, la dimension épique du récit mériterait un autre écrin.
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Finalement, ce qu’il y a ici de plus intéressant, c’est la manière dont Greengrass, qui avait déjà dirigé Hanks dans Capitaine Phillips (2013), façonne un peu plus l’image de héros discret et ordinaire que s’est bâtie le comédien au fil d’une filmographie solide. Tout a commencé en 1993-1994 avec la sortie consécutive de deux films que tout semblait opposer: Philadelphia et Forrest Gump. Dans le premier, l’Américain jouait un avocat homosexuel et séropositif qui, à la suite de la perte de son emploi, se battra contre ce qu’il juge être un licenciement abusif aux relents homophobes; et dans le second, il était cet homme simple mais bon comme une boîte de chocolats, traversant sans en avoir conscience des événements clés de l’histoire des Etats-Unis.
Futur colonel Parker
Comme si Forrest Gump en avait fait un symbole de l’americana, Hanks deviendra alors tour à tour un astronaute en péril (Apollo 13, 1995), un capitaine œuvrant à la réussite du Débarquement allié (Il faut sauver le soldat Ryan, 1998), un maton humaniste (La Ligne verte, 1999), le capitaine d’un porte-conteneurs affrontant des pirates somaliens (Capitaine Phillips, 2013) ou encore un pilote réalisant un atterrissage d’urgence virtuose sur l’Hudson (Sully, 2016). Et il incarnera aussi bien un politicien et un avocat ayant joué un rôle clé durant la guerre froide (La Guerre selon Charlie Wilson, 2007; Le Pont des espions, 2015) que Walt Disney (Dans l’ombre de Mary, 2013).
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A l’opposé des héros tout en testostérone sauvant le monde dans des délires pyrotechniques, Hanks n’est jamais aussi à l’aise que lorsqu’il incarne des personnages ordinaires au destin soudainement extraordinaire. Il est l’héritier d’une lignée d’acteurs qui va de Douglas Fairbanks et Errol Flynn à Cary Grant et James Stewart. L’an dernier, il se glissait encore dans Un Ami extraordinaire dans la peau de Fred Rogers, un présentateur pour enfants adoré pour ses émissions éducatives et son altruisme indéfectible. L’année prochaine, enfin, c’est dans le rôle du colonel Parker, légendaire imprésario d’Elvis Presley, qu’on le retrouvera.
Engagement citoyen
La manière dont Hanks choisit ses rôles pour les valeurs qu’ils véhiculent s’accompagne en outre d’un engagement citoyen. Fervent démocrate, il a célébré l’investiture de Joe Biden en animant une émission spéciale diffusée simultanément sur plusieurs grandes chaînes. Soutien actif de Barack Obama à partir de 2008, il avait qualifié la campagne 2020 opposant Biden à Trump d’élection la plus importante de l’histoire des Etats-Unis…
Avant de devenir le capitaine Kidd dans La Mission, il avait été dans la série documentaire Freedom: A History of US la voix off d’Abraham Lincoln, ce président qui parviendra à mettre fin à la guerre de Sécession et à faire voter un amendement interdisant l’esclavage, avant d’être assassiné. Il n’y a pas de coïncidence: Tom Hanks est officiellement le «troisième cousin au cinquième degré» de Lincoln. Comme s’il était en quelque sorte prédestiné à défendre une vision de plus en plus mise à mal d’une Amérique humaniste et tolérante.
La Mission (News of the World), de Paul Greengrass (Etats-Unis, Chine, 2020), avec Tom Hanks, Helena Zengel, Michael Covino, Fred Hechinger, 1h58. Disponible sur Netflix.