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Troisième réalisatrice à recevoir la Palme d’or, Justine Triet domine un palmarès admirable

La réalisatrice française a été sacrée pour «Anatomie d’une chute», un vertigineux film de procès. Le jury présidé par Ruben Östlund a pour le reste salué les nouvelles réalisations de grands cinéastes au talent immense

Justine Triet a reçu la Palme d'or des mains de Jane Fonda pour son film «Anatomie d'une chute», le 27 mai 2023, lors de la cérémonie de clôture de la 76e édition du Festival de Cannes. — © Eric Gaillard / Reuters
Justine Triet a reçu la Palme d'or des mains de Jane Fonda pour son film «Anatomie d'une chute», le 27 mai 2023, lors de la cérémonie de clôture de la 76e édition du Festival de Cannes. — © Eric Gaillard / Reuters

Le 76e Festival de Cannes, qui s’est achevé ce samedi soir avec le dévoilement d’un palmarès de grande tenue, aura été celui d’un vrai retour à la normale avec la présence massive des professionnels asiatiques, et principalement chinois, encore largement empêchés de voyager il y a une année. Quant à la compétition, elle aura été celle des confirmations, avec d’abord la preuve que les grands cinéastes – ceux qu’on a tant aimés mais qui aussi parfois ont pu nous décevoir – ont encore des choses à nous dire. Ken Loach (86 ans), Marco Bellocchio (83 ans), Wim Wenders (77 ans), Nanni Moretti (69 ans) et Aki Kaurismäki (66 ans) nous auront ainsi offert de beaux moments de cinéma doublés de pertinentes et parfois bouleversantes réflexions sur le monde.

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Dans le sillage de ces auteurs qui se refusent à la retraite, Nuri Bilge Ceylan (64 ans), Todd Haynes (62 ans), Hirokazu Kore-eda (60 ans) et Tran Anh Hung (60 ans) ont eux aussi dévoilé des œuvres d’une superbe intensité dramatique. Mais Cannes, ce n’est pas qu’un festival de «vieux», car même si ce sont eux qui dominent finalement le palmarès, les sections parallèles regorgeaient de signatures parfois très jeunes. La compétition aura ainsi aussi confirmé le talent immense de Justine Triet (44 ans), avec une Palme d’or à la clé, et d’Alice Rohrwacher (42 ans), la grande absente du palmarès.

Justine, après Jane et Julia

Enfin, on aura encore eu la confirmation que le documentaire a bien sa place dans une telle vitrine, avec deux œuvres passionnantes montrant les possibilités infinies du cinéma dit «du réel», entre immersion totale dans un univers secret avec Jeunesse (Le Printemps) de Wang Bing (55 ans) et flirt avec la fiction dans Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania (45 ans). On saluera encore la belle prise de risque du festival avec la sélection de Banel et Adama, premier long métrage certes pas totalement abouti de Ramata-Toulaye Sy (36 ans), mais qui met en lumière la relève du jeune cinéma africain, portée par une génération de cinéastes qui, s’ils ont parfois grandi ou étudié à l’étranger, ont à cœur de raconter des histoires profondément ancrées sur leur continent.

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Les quatorze réalisateurs et réalisatrices précités auraient tous et toutes mérité d’être fêtés par le jury présidé cette année, leur confrère suédois Ruben Östlund, qui a obtenu l’an dernier sa deuxième Palme d’or avec le démonstratif Sans filtre. Divine surprise, six d’entre eux se partagent les sept différents prix. Une seule réalisatrice a finalement été récompensée parmi les sept qui étaient en lice (un record), mais c’est donc la Palme d’or qu’elle a reçu. Justine Triet a été sacrée pour le vertigineux Anatomie d’une chute, son quatrième long métrage, et c’est largement mérité. La Française est la troisième femme à accéder au firmament cannois après la Néo-Zélandaise Jane Campion (La Leçon de piano, 1993) et sa compatriote Julia Ducournau (Titane, 2021).

«Marchandisation de la culture»

Anatomie d’une chute est un film merveilleusement écrit, réalisé et interprété, qui se déroule en grande partie dans un tribunal où une écrivaine à succès est accusée du meurtre de son mari, mystérieusement tombé du balcon de leur chalet alors qu’ils étaient seuls. Plutôt que de se contenter des habituels remerciements de circonstance, la cinéaste a profité de sa prise de parole pour livrer un discours politique virulent évoquant «la contestation historique et extrêmement puissante de la réforme des retraites, qui a été réprimée et niée de façon choquante». Elargissant ce ras-le-bol populaire à d’autres sphères de la société, elle a évoqué «la marchandisation de la culture, qui est en train de casser l’exception culturelle française, cette même exception sans laquelle je ne serais pas là aujourd’hui devant vous». Et de dédier sa Palme «à tous les jeunes réalisateurs et réalisatrices auxquels il faut faire de la place, avec la possibilité de se tromper et de recommencer». A bon entendeur.

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Le Grand Prix, qui a symbole de «Palme d’argent», est allé à Jonathan Glazer pour The Zone of Interest, un des films qui a divisé la Croisette, comme il a dû diviser le jury. Le Britannique y filme le quotidien d’un officier SS et de sa famille, vivant tranquillement dans une belle villa située à côté du camp d’extermination d’Auschwitz. Laissant l’Holocauste hors champ, il signe un film en forme de pur exercice de style qui met mal à l’aise – on préférera continuer à montrer aux nouvelles générations le Nuit et brouillard réalisé en 1955 par d’Alain Resnais. Le reste du palmarès est par contre exemplaire. Wim Wenders et Nuri Bilge Ceylan se voient indirectement récompensés à travers les prix d’interprétation attribués au Japonais Koji Yakusho et à la Turque Merve Dizdar, un grand écart géographique qui salue un acteur et une actrice au jeu anti-spectaculaire, toute en densité intérieure.

Réjouissante diversité

Autre Japonais récompensé, Yuji Sakamoto pour le scénario de Monster, œuvre délicate d’Hirokazu Kore-eda racontant selon trois points de vue successifs l’histoire d’un adolescent qui aurait été violenté par son prof. De manière subtile, le film aborde un thème rare dans le cinéma nippon, la possibilité d’une passion amoureuse entre deux jeunes garçons.

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Enfin, le Finlandais Aki Kaurismäki a reçu le Prix du jury pour Les Feuilles mortes, nouvelle tragicomédie miniature, intemporelle et décalée, racontant la rencontre entre deux âmes perdues. Quant au Prix de la mise en scène, il est revenu au Franco-Vietnamien Tran Anh Hung (lauréat il y a trente ans de la Caméra d’or du meilleur premier film pour L’Odeur de la papaye verte) pour La Passion de Dodin Bouffant, une très belle histoire culinaire dans laquelle il filme magnifiquement Juliette Binoche et Benoît Magimel. La décision du jury de Ruben Östlund de ne pas décerner de récompense spéciale ni de remettre des prix ex aequo, à l’opposé de Vincent Lindon l’an dernier, achève de faire de ce palmarès un reflet à la fois vibrant et subjectif de la réjouissante diversité du cinéma, même si au final seuls Justine Triet et Jonathan Glazer n’avaient encore jamais été récompensés à Cannes.


Le palmarès du 76e Festival de Cannes

Palme d’or: Anatomie d’une chute, de Justine Triet

Grand Prix: The Zone of Interest, de Jonathan Glazer

Prix de la mise en scène: La Passion de Dodin Bouffant, de Tran Anh Hung

Interprétation féminine: Merve Dizdar, dans Les Herbes sèches, de Nuri Bilge Ceylan

Interprétation masculine: Koji Yakusho, dans Perfect Days, de Wim Wenders

Prix du scénario: Monster, de Hirokazu Kore-eda

Prix du jury: Les Feuilles mortes, d’Aki Kaurismäki