«Un documentaire doit coller à la réalité tout en captivant le spectateur»
Séries
«Grégory», documentant l’affaire du même nom, est disponible en format mini-série depuis novembre 2019 sur Netflix. Sa productrice, Elodie Polo Ackermann, de la société Imagissime (Lagardère Studios), exprime sa vision du documentaire, un genre en pleine mutation depuis plusieurs années

Netflix, comme les autres plateformes de streaming, s’est engouffrée dans le «marché» du true crime, avec un grand nombre de productions du genre. Et l’une des plus remarquées de ces derniers mois est bien connue du public francophone: un nouveau récit de l’affaire Grégory.
Grégory retrace par le biais de témoignages et d’images d’archives ce célèbre drame vosgien, qui a tenu en haleine la France entière dans les années 1980. Cold case mythique, l’affaire est éclairée à la lumière de ceux à qui l’on doit la surmédiatisation de ce fait divers: la presse, les forces de l’ordre et le monde judiciaire. Productrice de cette mini-série de cinq épisodes, Elodie Polo Ackermann revient sur la création de ce documentaire au format particulier.
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«Le Temps»: Pourquoi une série documentaire sur l’affaire du petit Grégory, alors que l’histoire a déjà été racontée à maintes reprises?
Elodie Polo Ackermann:Grégory est un peu le fruit d’une coïncidence. Pendant l’été 2017, l’affaire connaît un énième rebondissement qui relance le dossier [un nouveau logiciel utilisé par la gendarmerie apporte un autre regard à l’affaire, et trois personnes sont mises en examen, ndlr]. Un peu au même moment, l’équipe de développement de Lagardère Studios rencontre Netflix, car la plateforme de streaming est à la recherche d’histoires à raconter. Et c’est finalement l’affaire du petit Grégory qui va les intéresser, sachant que c’est sûrement la plus grande affaire française non élucidée.
Et d’un point de vue personnel, qu’est-ce qui vous a motivée à produire ce documentaire?
Pour moi, c’était l’occasion de me lancer dans un magnifique défi éditorial et artistique. En tant que productrice de documentaires, travailler avec Netflix, c’était un peu le Saint-Graal. Ça force à se dépasser, et à se demander comment intéresser un public plus jeune, moins «acquis» au documentaire et rompu au format série. Et au-delà de ce défi, l’histoire du petit Grégory nous dit quelque chose de très fort sur notre fascination des faits divers. Avec mon équipe, Gilles Marchand et les coréalisatrices de la série (Anna Kwak, Yvonne Debeaumarché, Agnès Pizzini et Patricia Tourancheau), on avait envie de rentrer dans cette machine et de comprendre comment elle fonctionne, tout en collant factuellement au déroulement de l’affaire.
Pourquoi raconter cette histoire sous forme de mini-série?
Premièrement, Netflix ne nous a pas imposé de format. On n’a pas dû appliquer leur propre recette pour produire Grégory. Réaliser cette histoire en tant que série s’est imposé naturellement, car cette affaire possède d’elle-même de nombreux rebondissements qui permettent de travailler la dramaturgie dans la longueur. C’est en dépliant la narration que Grégory prend tout son sens. En la réalisant sous ce format-là, on savait également qu’on visait un public plus large, déjà habitué aux séries de fiction.
Quand on pense série, on associe plus facilement ce format à la fiction qu’au documentaire. Vous craigniez que les spectateurs opèrent ce rapprochement?
Je pense qu’avec Grégory on a su éviter cet écueil. Le format série est véritablement au service du genre documentaire. Grégory ne se résume pas à une juxtaposition d’éléments dramatiques au service de l’émotion. Mais en narrant l’histoire du petit Grégory de cette façon, il est possible de mieux captiver le spectateur, tout en restant toujours informatif. C’est un peu comme pour une leçon: dans tous les cas, il y a une intention pédagogique et didactique. Mais le cours dont on va vraiment se souvenir est celui donné par un professeur qui fait ressentir des émotions à ses élèves et qui parvient à captiver. Pour un documentaire, c’est la même chose.
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Vous réjouissez-vous de cet engouement pour les séries documentaires «true crime» qui pullulent en ce moment sur les plateformes de streaming?
Je n’ai évidemment pas envie de me transformer en productrice de documentaires criminels, mais je me réjouis que ce type de production soit de mieux en mieux considéré et diffusé. Car le format est très intéressant lorsqu’on s’y attaque avec une forte ambition créative. Au-delà des histoires de true crime, je suis surtout ravie que le documentaire devienne à la mode et qu’il s’exporte vers une audience plus jeune. Et pour ceux qui connaissent déjà bien le genre, le format série leur offre une redécouverte.