Un président qui invite une équipe de cinéma à le suivre pour témoigner de son action? Ce qui s’était déjà vu pour des candidats en campagne (de Kennedy à Giscard) commence à devenir envisageable pour un chef d’Etat en exercice (cf. Le Pouvoir de Patrick Rotman, sur les débuts de François Hollande). Mais l’exercice reste périlleux – affaire de juste distance et de censure, tout n’étant pas bon à montrer. Forte d’une relation amicale de longue date, la Biennoise établie à Berlin Heidi Specogna (La Courte vie de José Antonio Gutierrez, 2006) a décidé de retourner en Uruguay filmer José «Pepe» Mujica, ex-guérillero devenu président élu. Typiquement, le résultat s’avère à la fois passionnant et un peu frustrant.

Après lecture de la lettre d’invitation de Lucia Topolansky, sa compagne, et un bref rappel de son élection, à travers une archive, on découvre Mujica chez lui, dans sa ferme. Premier constat: à 75 ans, ce président au parcours atypique, sorte de Lech Walesa arrivé sur le tard, n’est pas de ceux à se laisser séduire par les ors du pouvoir. Il conduit toujours sa vieille VW Coccinelle, garde son chien à trois pattes et laisse l’essentiel de son salaire aux plus nécessiteux. Par contre, il aime toujours autant les discours, improvisés – mais sans langue de bois, au contraire d’un Castro! Quant au fil rouge du film, ce sera l’adoption de son projet de loi de libéralisation (contrôlée) du cannabis – une première mondiale.

Mystère au bureau

Des extraits de Tupamaros (1997) viennent rappeler le chemin parcouru (via ce mouvement de résistance, les prisons de la dictature et le retour à la légalité). Devenue «No 3 du gouvernement», Topolansky amène son grain de sel, puis on voit encore Mujica rendre visite à Angela Merkel à Berlin. Mais le film reste un peu trop paresseusement «en empathie» avec son protagoniste. Trop rarement montré au travail (à un moment, il chasse l’équipe de son bureau), on se demande bien ce qu’il accomplit de décisif pour le bien-être de ses concitoyens, au-delà de l’exemple d’une sobriété heureuse.

Il n’empêche qu’on aimerait bien entendre d’autres politiques, ailleurs, rappeler qu’«il n’existe pas de marché du bonheur» et qu’il est temps de «remettre l’économie au service de l’homme». Arrivé depuis au bout de son quinquennat (2010-2015), le sympathique Mujica mériterait à présent un dernier film en forme de bilan. n Norbert Creutz

** Pepe Mujica - el presidente, documentaire
de Heidi Specogna (Allemagne-Suisse 2015). 1h34.