«Le Fils de Saul» a été qualifié de «film nécessaire». Pourquoi nécessaire?

J’ai fait ce film pour plonger le spectateur dans une réalité qu’il n’a jamais vécue, le côté viscéral du camp de concentration, pour comprendre d’une manière non intellectuelle mais intuitive la limitation de l’individu dans le processus d’extermination. Je n’ai jamais douté. Je me sentais investi d’une mission. Je voulais que l’histoire ait la force primitive d’un récit archaïque dans l’usine de mort, au cœur du crématoire sous l’angle particulier du portrait d’un homme.

En inscrivant une histoire personnelle au cœur de l’Histoire, vous ne craigniez pas que l’émotion vienne déséquilibrer la démonstration?

On ne s’est jamais posé la question. Encore une fois, le processus était plutôt intuitif. Le film pose ces questions: est-il possible d’entendre une voix intérieure alors qu’il n’y a plus rien d’humain, plus d’espoir? Est-il possible d’avoir une histoire à l’intérieur des camps? Je pense que c’est possible, mais c’est mon espoir. Après, c’est au spectateur de décider si cela fait sens.
La quête de Saul relève d’une forme d’héroïsme modeste. Oui. C’est la possibilité du geste sacré. Il n’est pas lié à un dogme. Il répond à une sorte de voix divine intérieure. On peut l’appeler héroïsme modeste.

«Le Fils de Saul» dégage une violence psychologique proche de l’insoutenable.

J’espère que le film laisse une trace chez le spectateur. Il doit faire ce voyage personnel, bien plus important que la difficulté de l’épreuve psychologique. De plus en plus, on essaye de protéger le spectateur avec des films fabriqués pour produire des émotions superficielles. Une civilisation qui ne prête attention qu’au court terme et caresse dans le sens du poil participe à une sorte d’aveuglement collectif sur notre destinée et notre part d’obscurité.

En 1994, on faisait des procès pour «obscénité» à Steven Spielberg qui avait montré la Shoah dans «La Liste de Schindler». Avez-vous été confronté à ce genre de réactions?

Je ne représente pas frontalement la réalité des camps. Je préfère utiliser l’imagination du spectateur. Je ne suis pas réduit à l’impact de la souffrance humaine. Le film ne se compare à aucun autre sur la Shoah. Je ne pense pas qu’on puisse me reprocher d’avoir manqué de respect aux morts et aux mourants. On peut ne pas aimer le film, mais pas remettre en question le respect absolu pour l’histoire des morts.