Une arnaque tirée par les cheveux

Comédie Une poignée de flics et de filous à poil long mène le bal dans «American Bluff»

Une mascarade réjouissante tempérée d’une touche d’amertume

D’entrée, Christian Bale, augmenté d’une solide bedaine et déboisé du bulbe, se livre à un délicat travail de tricherie consistant à se coller un toupet sur le crâne, puis à rabattre les côtés pour changer une calvitie en coupe dans le vent.

On est en 1978, point d’orgue d’une décennie où le tif ondula jusqu’au délire et American Bluff (audacieuse traduction française d’American Hustle) célèbre joyeusement ces débordements capillaires. Banane pour Jeremy Renner! Choucroute pour Jennifer Lawrence! Concours de bigoudis entre Bradley Cooper, qui cherche à affirmer son italianité avec des frisures serrées et Amy Adams, qui impose à son ample chevelure des vagues de sirène… Mais tout ceci n’est que fioritures dans un écheveau de filouteries diverses.

Depuis sa plus tendre enfance, Irving Rosenfeld (Christian Bale), le chauve hypocrite, est un escroc. Il tient une blanchisserie dans laquelle il puise les déguisements dont il a besoin pour vendre de faux tableaux. Dans une party, il se découvre une passion commune pour Duke Ellington avec Sydney (Amy Adams). Ils ne tardent pas à faire équipe ensemble. La jeune femme excelle à prendre un accent anglais dont les connotations aristocratiques charment les gogos à tondre.

Les aigrefins se font coincer et Sydney finit en cellule. Mais l’agent DiMaso (Bradley Cooper) est un drôle d’oiseau. Assoiffé de gloire, il a une idée fixe: coincer des hommes politiques prévariqués. L’occasion faisant le larron, il n’hésite pas à piéger ses cibles avec une valise pleine de dollars. Le flic pas net contraint les deux escrocs à corrompre le maire Carmine Polito (Jeremy Renner). Tandis que le charme latin du flic commence à opérer sur Sydney, Irving se dépatouille avec son épouse Rosalyn (Jennifer Lawrence), bimbo hystérique jusqu’au bout de ses ongles peints… Le bal des nazebroques peut ouvrir.

Adultes, âpres, décalés, les films de David O. Russell détonent dans le morne paysage hollywoodien – voir Les Rois du désert (la guerre du Golfe avec George Clooney), ­Fighter (la trajectoire sinueuse d’un boxeur junkie) ou Happiness Therapy (comédie romantique avec un grain de folie). American Bluff ne déroge pas à la dinguerie réaliste. Evoquant Goodfellas, mais sans morts, L’Arnaque, mais avec un trait d’amertume, ce film tire son argument de l’«affaire Abscam», une opération menée par le FBI à la fin des années 70. Le réalisateur rajoute une solide rasade de grotesquerie.

Passé un démarrage empêtré dans un enchevêtrement de flash-backs déroutants, American Bluff multiplie les signes rétro-modernistes (le premier micro-ondes) et les instants jubilatoires (une séquence Saturday Night Fever) dans un feu d’arnaques à rebondissements multiples. La conclusion de cette ahurissante mascarade est en demi-teinte: ni prison, ni fortune pour les champions de l’entourloupe, mais des déconvenues, une vague nausée existentielle…

Le climax est atteint lorsque la mafia s’en mêle. Pour jouer le cheikh arabe désireux d’investir dans les casinos, le FBI a pris un Mexicain juste capable de bafouiller «méchoui»; les caïds de Miami ont dépêché un tueur impitoyable (Robert De Niro en caméo vintage) révélant des dispositions linguistiques inattendues. Les comploteurs ont les foies et, complètement désinhibée par l’alcool, Rosalyn drague les gangsters. Les comédiens renchérissent de finesse – avec mention pour Jennifer Lawrence!

VVV American Bluff (American Hustle), de David O. Russell (Etats-Unis, 2013), avec Christian Bale, Amy Adams, Bradley Cooper, Jeremy Renner, Jennifer Lawrence, Robert De Niro, Jack Huston. 2h18.

Pour jouer le cheikh arabe désireux d’investir dans les casinos, le FBI a pris un Mexicain