C’est la métaphore de «la destruction comme projet politique», selon le mot du critique de cinéma José Geraldo Couto. Les images terrifiantes de l’incendie qui s’est déclaré jeudi – semble-t-il pendant les travaux de maintenance du système d’air conditionné –, dans un entrepôt où la cinémathèque brésilienne stocke une partie de son fonds d’archives à São Paulo, enflamment les esprits.

Non que cet incendie soit le premier. Celui qui avait ravagé le Musée national de Rio en 2018 – soit avant l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir – ou encore les trois autres incendies connus par la cinémathèque elle-même au cours de ses 74 ans d’histoire témoignent de la difficulté du Brésil à préserver son patrimoine culturel. Mais sous Jair Bolsonaro, les milieux culturels – des gauchistes, pour le chef de l’Etat – sont déjà à couteaux tirés avec le gouvernement, qui a supprimé le Ministère de la culture et réduit les financements.

Chronique d’une tragédie annoncée

L’an dernier, la cinémathèque avait ainsi été contrainte de fermer ses portes, Brasilia ayant refusé de renouveler le contrat avec l’association qui en assurait la gestion. Tout le personnel avait été par conséquent limogé, laissant sans aucune surveillance son fonds d’archives, l’un des plus importants d’Amérique latine. Le parquet fédéral, qui accuse le gouvernement d’«abandon» de l’institution, s’en est mêlé, obligeant ce dernier à prendre quelques mesures d’urgence. Pas suffisantes cependant pour empêcher ce que d’aucuns présentent comme une tragédie annoncée.

Les dommages ne sont pas encore recensés avec précision, mais s’annoncent inestimables. Quelque quatre tonnes de documents écrits, issus des archives des institutions publiques qui ont construit le cinéma brésilien depuis soixante ans, sont parties en fumée. «Une perte irrécupérable pour les chercheurs», soupire Roberto Gervitz, cinéaste et cheville ouvrière du mouvement SOS Cinemateca. Ces documents étaient en voie de numérisation avant la brutale fermeture de la cinémathèque, en août dernier.

«Un manque de bonne volonté»

Des objets destinés à un futur musée du cinéma (comme des zootropes) ainsi que des copies de films, brésiliens et étrangers, ont également été dévorés par les flammes. Heureusement, le principal fonds d’archives – et notamment les archives personnelles de Glauber Rocha, le maître du Cinema Novo – se trouve ailleurs, et en sécurité. Pour l’instant du moins. «Sa maintenance est une tâche urgente», met en garde l’activiste, qui dénonce un «manque de bonne volonté du gouvernement, quand bien même on y trouve, ici et là, des personnes bien intentionnées».

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La justice vient de concéder au gouvernement un délai supplémentaire de deux mois pour embaucher le personnel nécessaire et rouvrir la Cinemateca Brasileira. Entre-temps, des cinéastes commenceraient à s’interroger sur l’opportunité d’y maintenir leur œuvre, confie une source qui préfère rester anonyme, et image: «Un peu comme des parents qui ne feraient plus confiance à la crèche qui gardait leurs enfants.»

D’autres n’arrivent même plus à travailler dans un pays où le cinéma dépend des financements publics. «Plus de 800 projets de film sont paralysés ou avancent au forceps, à coups d’interventions de la justice», relate le réalisateur Kléber Mendonça Filho, un des jurés du Festival de Cannes début juillet. Le chef de file du cinéma du Pernambouc, l’un des plus prestigieux du pays, dénonce, lui, un «sabotage qui dénote un mépris pour la culture».