Fiction TV
Narcos, la nouvelle série présentée par Netflix, raconte avec intelligence l'ascension et l'escalade violente de Pablo Escobar. Nouveau chapitre dans l'histoire variée des drogues sur petit écran

«Un rat préférera la cocaïne à l'eau, la nourriture, le sommeil, le sexe, la vie même». C'est l'une des premières sentences entendue en découvrant Narcos, la nouvelle série de Netflix. Après avoir erré historiquement avec Marco Polo, le site de vidéo en ligne raconte la trajectoire de Pablo Escobar dans un feuilleton en dix épisodes conçu par Chris Brancato, Eric Newman et Carlo Bernard, produit par Gaumont. Une série brillante, qui s'inscrit dans un nouveau registre d'évocation de la drogue en séries TV: quand la substance addictive, et mortelle, devient matière à histoire contemporaine. Un nouveau rôle pour les poudres, qui ont cumulé les fonctions sur petit écran.
Le reflet d'une société qui pourrit
On l'a oublié, mais Starsky et Hutch avait sa part de séquences sordides, dont le doublage français a tempéré la noirceur. Il n'y a pas que le débonnaire Huggy les bons tuyaux et son anecdotique travail de dealer. Dans une scène, Hutch a été drogué de force. Le moment est pénible, il condense la vision pessimiste de la cité tentaculaire sur laquelle reposaient, néanmoins, les aventures des deux rigolos.
30 ans plus tard, les séries de David Simon The Corner, puis The Wire (Sur Ecoute) plongent, cette fois réellement, la plume dans la plaie urbaine, ces quartiers de Baltimore délaissés, ravagés. De fait, on voit peu de drogue dans The Wire; la came se fait acide, au service d'un décapage en règle de la soi-disant «guerre contre la drogue». Sévère propos, comme le prouvent les conclusions toujours sombres des cinq saisons.
Un puissant moteur narratif
Dans Breaking Bad, l'inoubliable Walter White produit des méthamphétamines, d'abord pour assurer la survie matérielle de sa famille lorsque le cancer l'aura mis à terre. Le scénariste Vince Gilligan et ses réalisateurs se régalent de l'imagerie chimique des labos clandestins, les cuves d'acide, les alambics façon années 2000, les instruments de précision maniés en portant des lunettes de plastique. Au fond, le héros et son acolyte pourraient produire des armes, ou tout autre matériau illicite; les cristaux à consommer servent de support – et de cadre, offrant aux auteurs de nombreuses possibilités, du magnat local aux épouvantables agissements des gangs à la frontière mexicaine.
Ce dangereux moyen de survie
Nancy Botwin a fermé boutique il y a déjà trois ans, certains la regrettent encore. La mère célibataire au cœur de Weeds, incarnée par Mary-Louise Parker, a passé des années à faire tourner son petit commerce d'herbe, dans sa petite cité cossue et apparemment peu portée sur les voyages en volutes. Dans ce cas, la substance interdite, ou presque, a servi d'objet de transaction et d'interaction. Le propos était d'abord critique: après tout, la série créée par Kenji Kohan reposait sur le fait que pour une maman de peu de fortune, le commerce de la marijuana représente un débouché plus structuré que le travail légal. Montrée l'année passée au Festival Tous Ecrans, la néerlandaise Holland Hoops reprend l'herbette comme affaire sociale – cette fois à grande échelle, c'est une vaste plantation, et de manière patrimoniale, puisqu'il s'agit du jardin de la maison de famille.
Un monde de camés
Si l'on élargit la notion de drogue, pas de doute, les séries offrent une terrifiante galerie de personnages camés jusqu'au bout des ongles. La dépendance de Dr House à ses calmants n'est plus à prouver, les figures d'alcooliques jouissent d'une indestructible constance, la consommation de produits en tous genres s'affole. Parce que le monde est dur et qu'il faut y survivre, et parce que la dépendance, à cacher, fournit une excellente dimension dramatique.
L'histoire est faite de substances
Gomorra dans le cas de l'Italie dépeinte par Roberto Saviano, à présent Narcos pour l'Amérique du sud: voici le nouveau champ, la fiction TV comme exploratrice d'une histoire presque immédiate. La série de Netflix déçoit peut-être ceux qui en attendent une fresque à mitraillettes, une saga classique. Les auteurs assument le choix de tranches d'histoires, suivant l'escalade de violence de Pablo Escobar. Ils prennent un agent américain comme narrateur, au moyen d'une voix off fort présente, et documentée: «A mes débuts, 1 kg de cocaïne saisi, c’était la fête. Puis on est passé à 60 kilos. On se croyait bons. En vérité, c’était que dalle. Ils nous en laissaient 60, ils en passaient 600. La cocaïne de Pablo nous submergeait. Tout Miami en était fou. Je n’exagère pas. Toute la ville cherchait à se procurer cette m... Et l’argent a engendré la violence.»
C'est exactement ce que raconte Narcos. Les fabriques à poudre camouflées sous les frondaisons tropicales, les acheminements vers la Floride, de la veste à poches aux avions gavés jusqu'aux pneus, l'avènement d'une concurrence féroce entre cartels de Medelin et de Cali… Sans oublier le versant géopolitique, résumé avec une efficacité rare: «De 1979 à 1984, il y a eu 3245 meurtres à Miami. Hormis l’Office du tourisme et les flics, tout le monde s’en foutait. Ce qui préoccupait le gouvernement, c’était l’argent. Des milliards de dollars s’envolaient chaque année par la Colombie. Et ça, les Etats-Unis ne l’acceptaient pas.» Délétère vertige, que Narcos raconte avec intelligence.