Portrait
Femme de combats et d’idéaux, la réalisatrice genevoise d’origine chilienne dirige pour la première fois le festival Filmar en America latina qui démarre vendredi à Genève

Seguir adelante, aller de l’avant. Le maître mot de la débrouillardise en espagnol résonne comme un mantra chez Vania Aillon. Se projeter, toujours, s’acharner à mettre un pied devant l’autre chaque matin. «Une manière de prouver que rien n’est jamais figé», lance la Genevoise d’origine chilienne, les traits typés, le sourire mutin. La nouvelle directrice du festival Filmar en America latina, rendez-vous du cinéma latino, c’est elle. Un bout de femme énergique, passionnée, qui s’exprime sans détour. Mis au concours pour la première fois cette année, le poste lui a été attribué à l’unanimité. Un honneur pour la réalisatrice de 43 ans qui entend donner un «joyeux coup de fouet» à cette 19e édition.
Vania est née en exil. Un an après le coup d’Etat de 1973, ses parents fuient la dictature d’Augusto Pinochet vers la Suisse. Point de chute: Locarno, ce bout de Suisse italienne où la population accueille à bras ouverts les réfugiés politiques chiliens, puis Genève. La petite ville de Concepcion, bastion familial, Vania ne la découvrira qu’à l’âge de 14 ans, lors de son premier voyage de l’autre côté de l’Atlantique.
De Tarkovski à Kiarostami
Toute petite déjà, son père l’entraîne dans les salles de cinéma pour voir des films auxquels elle n’a pas droit. A la caisse, le stratagème est bien rodé: il passe en premier, elle se faufile derrière lui. Face au génie du Russe Tarkovski, la fillette d’alors reste subjuguée, perplexe parfois. «Ces images que je ne comprenais pas m’ont profondément marquée», confie-t-elle. Bien plus tard, le réalisateur iranien Abbas Kiarostami produira en elle une même fascination.
A Genève la multiculturelle, la jeune Vania se fond vite dans la masse. Entre 20 et 35 ans, elle multiplie les voyages en Amérique du Sud le long de la cordillère des Andes, cette arête qui structure tout un continent. A la recherche de ses racines, avide de capter l’essence de son pays. «Aujourd’hui, j’ai achevé ce parcours, je ne me pose plus la question d’où je viens, j’assume ma double identité», explique-t-elle posément. A vrai dire, avec des ancêtres à la fois français et mapuche, Vania tient du mélange avant même la migration.
A la HEAD en filière cinéma, elle touche à tout au point de douter. «Bizarrement, c’est durant mes études que j’ai le plus questionné la voie à suivre», confie-t-elle. Son diplôme en poche, elle devient l’assistante du réalisateur Jean-Louis Comolli. Le travail de terrain commence, la vocation se révèle. Hors du cocon universitaire, Vania multiplie les mandats. La fibre associative la pousse dans ces lieux qui résistent et tentent de nouvelles expériences: le festival Visions du Réel, le cinéma Spoutnik, Fonctions cinéma et Filmar, déjà. «J’ai toujours eu un lien particulier avec ce festival. Dès les premières éditions auxquelles j’assistais adolescente avec ma mère.»
La «force humaine» avant tout
Son seul et unique moyen-métrage marque un tournant. Consacré à l’expérience politique au Venezuela, La Terre tremble déroule la quête d’un idéal en «je». A la recherche d’une tribu imaginaire, Vania sillonne un pays où le rêve vire peu à peu au cauchemar. «C’est à ce moment-là que j’ai cessé de courir après l’utopie pour composer avec l’existant. Désormais, je crois avant tout en la force humaine, non plus au bouleversement total, mais au changement par l’individu.»
Avec trois collaborateurs à l’année et huit lors de l’événement, Filmar est un «petit festival qui paraît grand». Une satire de la politique spectacle en Uruguay (El Candidato), une fiction délirante sur les traces du royaume d’Araucanie au Chili (El Rey), un thriller haletant dans la périphérie de Mexico (El Vigilante) ou encore l’introspection d’une femme mûre confrontée à son passé (Los Perros): la programmation renferme des pépites, des avant-premières, des premières œuvres.
«Dans leur immense majorité, les films montrés ne sortiront pas en salle, précise Vania, il y a une certaine urgence à les défendre, à en débattre.» Au fil des années, le festival tente de capter une évolution du langage cinématographique. «Le réalisateur chilien Patricio Guzman, par exemple, part du film d’immersion pour aller vers une narration plus universelle», explique Vania.
«Montrer un autre visage»
Drogue, criminalité, corruption, pauvreté, l’Amérique latine renvoie encore à des clichés tenaces. Comment s’en distancer? «C’est précisément l’un des enjeux du festival, montrer un autre visage de ce continent. La langue nous réunit au sein d’une grande maison, mais les subtilités sont infinies.» Au-delà des poids lourds que sont l’Argentine, le Mexique ou le Brésil, certains pays comme la Colombie ou le Costa Rica s’affirment de plus en plus. «Il y a une réelle volonté étatique de faire émerger des talents. On tente de saisir cette effervescence.»
A l’heure où le flux visuel ne désemplit pas, la jeune femme continue de penser le cinéma comme une expérience collective, une forme de communion. «Réunir un public dans une salle, voir tous ces regards concentrés sur une même œuvre, c’est une vraie pause, une respiration dans le tourbillon du quotidien.»
Vania, elle, se régénère notamment à l’Ilot 13, dernier vestige de l’idéal de vie communautaire où foisonnent les créativités les plus diverses. «Après avoir passé dix ans dans des squats, je ne m’imaginais pas vivre ailleurs, souffle-t-elle. Je connais tous mes voisins, celui du dessus est musicien, l’autre scénographe ou dessinateur, mes enfants passent d’un appartement à un autre. Historiquement, les Grottes sont le lieu d’une résistance et d’une lutte très forte pour une scène culturelle alternative. Les gens d’ici sont tenaces.» Ceux d’ailleurs aussi.
PROFIL
1974: naissance à Locarno.
1981: arrivée à Genève.
2004: diplôme en cinéma à la HEAD.
2011: réalisation du film «La Terre tremble».
2017: direction du festival Filmar en America latina.
Filmar en America latina: du 17 novembre au 3 décembre 2017 à Genève et en France voisine. Informations et tickets sur www.filmaramlat.ch