Lorsqu’il évoque, la veille de la projection, sa série adaptant La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, Jean-Jacques Annaud a la langue qui fourche. Il dit: «La totalité du film, pardon, de la série a été tournée en 80 jours.» Quelques minutes avant le dévoilement, samedi soir à Cannes, devant les caméras de Canal +, Joël Dicker se fait plus direct: «En fait, c’est un film de huit heures.» La nature de l’œuvre est désormais définie par l’écrivain genevois, longtemps courtisé pour les droits de son best-seller, avant que l’éditeur Bernard de Fallois, décédé en janvier, ne tranche pour le cinéaste du Nom de la rose («Il aimait bien mes films»).

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Pour l’heure, un échantillon de 75 minutes

Dans la longue liste des séries attendues cette année, La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert figure en haut. Ayant pu l’obtenir, les responsables de Canneseries en ont fait leur événement phare, après la cérémonie d’ouverture. Problème, l’objet n’est pas achevé: Jean-Jacques Annaud revient de Montréal, où il monte, et dans trois semaines il va à Los Angeles pour peaufiner la musique («C’est comme la musique de quatre longs-métrages…»).

Pour ouvrir néanmoins le nouveau festival, le cinéaste a concocté un échantillonnage («sneak peek», dans le jargon) de 35 minutes, qui donne l’idée générale du produit futur à travers quelques scènes à peu près complètes, et qui ne sera montré nulle part ailleurs. Mais «ce n’est pas un best of, comme une bande-annonce», précise le réalisateur.

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La TV, terre de liberté

Pourquoi Jean-Jacques Annaud, 75 ans certes pétaradants – pendant une conférence d’une heure, il est incapable de rester assis plus d’un quart d’heure –, s’est-il emparé de la masse complexe et sinueuse du roman de Joël Dicker? En fait, malgré la langue qui fourche, c’est bien la télévision qui l’intéressait. Il raconte: «Cela fait 10 ans que je pensais me diriger vers la TV. J’y vois un nouvel espace de liberté. Et j’y retrouve des méthodes de tournage que j’avais connues dans la publicité, une forme de spontanéité.» Il ne cache pas non plus un appétit de conquête du public: «Dans le cinéma, la notoriété du film vient souvent au moment de son passage à la TV. Son succès international futur dépend de la télévision. Je me suis dit, pourquoi pas faire directement une série!»

Puis vint Dicker. Conseillé avec insistance par l’entourage du cinéaste. Celui-ci plonge dans le roman, et se dit d’emblée qu’il n’est pas possible de l’adapter en un seul film de deux heures. Il y en aura huit, pour dix épisodes.

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Une image magnifique

Que dire de ce qui a été montré? D’abord, qu’il est impossible de juger sur une telle base. Le chroniqueur de séries a l’habitude de se faire une idée sur quelques épisodes – jamais, au grand jamais, seulement sur le pilote. Mais deux, trois chapitres sur 10 donnent le ton, les épaisseurs, les nœuds, ainsi que les composants, acteurs, réalisation, musique… Une telle promenade échantillon ne fournit qu’une esquisse sans profondeur; c’est un présentoir linéaire.

Quelques pistes pourtant. De toute évidence, l’image sera magnifique. Talent d’Annaud et ses équipes, nourris par leur matière première: après tout, le roman du Genevois repose sur des souvenirs de vacances dans le Maine, il baigne dans cette imagerie américaine de dîners aux banquettes usées, d’églises dans les forêts, de rivages et de couleurs de la Nouvelle-Angleterre. Rien ne semble heurter l’imagination des lecteurs.

Sur la narration, il est déjà plus délicat de se prononcer. Le propos semble d’une grande fidélité au texte original – sauf le destin de la fameuse boîte souvenir offerte par Nola à Harry, qui paraît ici peu clair. Les scénaristes ne semblent avoir sacrifié aucun personnage important, ni aucun jalon chronologique du roman.

Une distribution idoine

A propos de personnages, l’enthousiasme peut être de mise: la distribution tient de l’adéquation parfaite. Bellâtre à effets dans Grey’s Anatomy, Patrick Demsey incarne Quebert dans toutes ses facettes, de 1975 à 2008. Pour camper Douglas de nos jours, Ben Schnetzer sait manifestement jouer de la fausse frivolité nécessaire. Le policier est porté par Damon Wayans Jr., là aussi, selon ces premières images, un bon choix – sauf que l’on peut craindre un manque de rudesse par rapport à l’original. Même le très particulier Luther se retrouve dans les traits de Joshua Close.

Et il fallait trouver Nola. Jean-Jacques Annaud est fier de sa trouvaille, cela se comprend: tout indique que Kristine Froseth possède la légèreté autant que la gravité de l’héroïne de Dicker. Dans ce cas, l’actrice paraît un peu plus grave, ce qui n’est pas pour déplaire – on pouvait s’énerver parfois des dialogues un peu poires des deux tourtereaux, d’elle surtout. Kristine Froseth laisse augurer d’une solidité à porter cet amour impossible, autant que les mystères de Nola.

Voilà pour les promesses. Réponse sans doute cet automne.


En vidéo: Joël Dicker dédicaçant son dernier roman à Genève.