Cinéma
Le festival nyonnais a conjuré le virus en proposant avec succès une édition online. Au programme, parmi 164 autres films, trois documentaires qui parlent de la Suisse ou témoignent d’un regard suisse sur le monde

Pendant la guerre, pour la Suisse confinée en son réduit national, le Tessin tenait lieu de rêve tropical. Il était l’Espagne, le Maroc, le Brésil dans les films zurichois. Les décennies ont passé, le plus méridional des cantons suisses est entré de plain-pied dans l’âpreté du réel comme en témoigne Cows On The Roof, d’Aldo Gugolz. Fils de hippie, petit-fils d’armailli, Fabiano fabrique du fromage dans le Val Vergeletto, au-dessus de Locarno. La vie est rude. Au-delà des soucis financiers et des intempéries, une ombre pèse sur la petite communauté: la mort d’un Macédonien venu travailler au noir et disparu du jour au lendemain. On a retrouvé son corps des mois plus tard dans la montagne, dévoré par les bêtes. «Je ne peux pas me le pardonner», dit Fabiano, des larmes aux yeux, impuissant de se défaire d’un sentiment de culpabilité.
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Au nord-est du Tessin rutile la capitale économique du monde, Davos. Elle donne son nom au portrait kaléidoscopique que lui consacrent Daniel Hoesl et Julia Niemann. Juchée sur une caisse, une analyste prône un monde more inclusive devant les caméras. Elle est interrompue par le chambard d’un chasse-neige, à moins qu’il ne s’agisse du convoi présidentiel américain. Non loin de là, une vache met bas. Le veau se présente mal. Le paysan s’arc-boute contre les flancs de la bête, le vétérinaire plonge le bras jusqu’à l’épaule dans la matrice bovine. Davos rappelle qu’il y a ceux qui pérorent et ceux qui se salissent les mains en rencontrant des représentants de toutes les strates de la station grisonne, Klaus Schwab et des altermondialistes, de jeunes rappeurs et des paysans de montagne. Tous participent au fameux «spirit of Davos».
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Fuyant les persécutions, une famille kosovare a trouvé refuge en Suède où elle se bat pour que sa demande d’asile soit acceptée. Les deux filles adolescentes, Ibadeta et Djeneta, tombent en catalepsie. Ce mal mystérieux, identifié pour la première fois en Suède, s’appelle le «syndrome de résignation». Liée au stress, cette forme d’absence comateuse s’apparenterait à l’hibernation des ours. Furkan, le cadet de la famille, a la tête dans les étoiles. Il rêve de Mars, de Pluton. Dans un cimetière de voitures, il récupère des pièces pour se construire un astronef. D’origine kosovare, la réalisatrice suisse Dea Gjinovci signe avec Réveil sur Mars un film bref et original évoquant les frontières visibles et invisibles à travers une histoire émouvante et des images poétiques, comme l’éclairage public qui s’allume dans une rue enneigée. Sans parler du décollage de Furkan sur son aéronef clignotant comme un arbre de Noël…
Dématérialisation forcée
Visions du Réel a pris le pari audacieux de maintenir l’édition 2020 en la basculant des rives du Léman à l’infosphère. Le défi a été remporté: 29 000 personnes se sont connectées au programme, plus de 70 films ont été sold out en jaugeant 500 spectateurs. La hotline mise à disposition des cinéphiles peu à l’aise avec la technologie digitale a enregistré nombre de retours très positifs, notamment d’un public régional, attaché à son festival, mais aussi d’ailleurs. Le Monde, Les Inrocks, Variety et Screen ont célébré Visions du Réel, signale Martine Chalverat, directrice administrative et opérationnelle.
L’Industry connaît un même succès online – le Pitching du Réel a rassemblé 300 spectateurs éloignés, les tables rondes fonctionnent bien. Cette dématérialisation forcée ne remplace pas les rencontres physiques mais dessine certaines pistes d’avenir.