Quand les écrivains russes lisent les suisses
salon du livre de moscou
La Suisse était l’invitée du Salon du livre de Moscou, qui a fermé ses portes dimanche 1er décembre. «Le Temps» vous propose de redécouvrir son opération spéciale menée en partenariat avec le magazine moscovite «Snob»: quatre auteurs russes réputés ont lu quatre auteurs suisses réputés et ont rédigé un commentaire, une critique. Avec Catherine Lovey, Peter von Matt, Lukas Bärfuss et Charles Lewinsky

■ Quatrième semaine, la romancière Marina Stepnova a lu «Un Roman russe et drôle», autour de Mikhail Khodorkovski, de Catherine Lovey (05.12.2013). En miroir: une histoire russe racontée par une Suisse et relue par une Russe…
Mise en bouche:
«L’héroïne du roman de Catherine Lovey aime la Russie. Tout comme Catherine Lovey, je parie. Ça arrive. Ma meilleure amie, Allison, Américaine de naissance, est elle aussi l’esclave consentante de notre insondable patrie. Elle a vécu cinq ans chez nous dans les années 1990. Elle a végété dans des turnes surpeuplées, elle a connu les tickets de tabac, le mémorable spirt «Royal»… Elle se souvient à jamais du jour où, après avoir bu un coup à la santé d’Anton Pavlytch Tchekhov, elle a essayé de rejoindre les souterrains du métro de la capitale. Un brave policier lui a barré le passage. Faisant vaillamment un barrage de son corps pour la protéger. Et vous savez ce qui, aujourd’hui encore, réchauffe le cœur de ma chère Allison? Qu’on n’ait pas reconnu en elle une Américaine. «Les Américains ne boivent pas autant!» Il y a, semble-t-il, de quoi être fier». […] La suite ici.
öLa critique du Temps: «Un Roman russe et drôle» par Catherine Lovey (16.01.2010)
■ Troisième semaine, le critique Nikolaï Aleksandrov a lu «La Poste du Gothard», l’essai sur le mythe alpestre de Peter von Matt (29.11.2013). La place du progrès et des origines dans le miroir suisse
Mise en bouche
«Le brillant ouvrage de Peter von Matt pourrait s’appeler «Croquis de l’histoire de la littérature suisse». L’auteur, en effet, considère les écrivains les plus brillants des deux derniers siècles, d’Albert von Haller à Urs Widmer. Chacun d’entre eux devient le héros d’un chapitre – voire de plusieurs. Mais si une série de croquis suppose une certaine discontinuité, le livre de von Matt surprend par sa cohérence et sa conception magistrale. Et l’enjeu s’en trouve fortement élargi» […] La suite ici
L’article du Temps: La poste du Gothard, ou quand le mythe de la Suisse alpestre explose (23.06.2012)
■ Deuxième semaine, le critique dramatique Pavel Rudnev a lu «Le Bus», une pièce de Lukas Bärfuss (22.11.2013). Le désespoir social dans un pays qui n’en manque pas.
Mise en bouche
«Le dramaturge suisse Lukas Bärfuss jouit d’un sort enviable en Russie. Deux de ses pièces, Les Névroses sexuelles de nos parents et Le Voyage d’Alice en Suisse, y ont été mises en scène dans les capitales et en province, et les différentes interprétations de ces œuvres, qui en quelque sorte rivalisent entre elles, constituent un terrain propice à la discussion. Les thématiques que Bärfuss aborde au théâtre – que ce soit l’euthanasie ou les paradoxes de la morale sexuelle – sont exclusives, aucun autre texte ne les traite à un niveau d’élaboration et de sérieux qui soutienne la comparaison, ce qui assure au dramaturge l’intérêt constant du théâtre qui prétend à l’intellectualité, au débat ou à l’investigation». […] La suite ici
■ Première semaine, le romancier Alexandre Terekhov a lu «Retour indésirable» (Grasset, 2013), de Charles Lewinsky (15.11.2013). Un douteux héros du ghetto de Theresienstadt
Mise en bouche
«Gerron est juif, ou plutôt, dirait-on aujourd’hui, il est un Allemand d’origine juive, ou alors, selon les mots du héros lui-même, simplement un citoyen allemand issu d’une famille de patriotes, et si l’on ne veut pas du terme «allemand», alors il est un homme né en Allemagne, ayant combattu pour elle pendant la Première Guerre mondiale et n’ayant jamais pensé à la composition de son sang jusqu’au jour où la société allemande, avec une diligence étonnante, se réorganisa en se construisant autour du nom de Hitler… L’auteur n’aide en rien le lecteur: lorsque nous prenons le coin de la première page entre le pouce et l’index (ou avant même de l’avoir lue dans la liseuse), nous avons déjà compris de quoi il s’agit, le «comment», le «pourquoi», et tous les tenants et aboutissants. Et en plus, le héros, à ce qu’il apparaît, n’a pas été simplement blessé à la guerre, mais «il a perdu, à la suite de sa blessure, la faculté d’engendrer» – et cela aussi est révélé dès la première page –, pourtant, après avoir entamé, «parce qu’il le faut», un livre ordinaire, une histoire vraie, telle une potion amère avec «la vérité sur la guerre», «la vérité sur la Shoah», vous ne découvrirez pas l’histoire attendue, promise par l’étiquette, mais vous aurez en main un ouvrage que vous ne lâcherez plus avant la dernière page – un album de photographies en noir et blanc, la présentation la plus judicieuse de la vie d’autrefois – depuis l’heureux mariage des parents et la petite enveloppe scellée contenant une mèche de cheveux, jusqu’à… […] La suite ici
L’article du Temps: Charles Lewinsky tire un roman habile et gênant du destin pathétique de Kurt Gerron (16.03.2013)