Parité
Ce mercredi, le Conseil fédéral s'est rapproché de la parité, à 4/3. Et dans la sphère culturelle? Les lignes commencent à bouger, mais les quotas divisent

Certaines images semblent inoxydables. L’artiste, pour ne pas dire le génie, serait d’abord un homme. La muse, forcément une femme. Il en existe pourtant des créatrices, dans tous les champs culturels, mais elles sont largement moins visibles que leurs confrères. Moins visibles et moins soutenues.
En Suisse, les chiffres manquent, mais ceux que l’on connaît sont éloquents: 80% des subventions dans le domaine du cinéma reviennent à des hommes alors qu’ils représentent 50% des diplômés, un tiers des artistes programmés au Paléo, au Montreux Comedy Festival ou encore au Festival Images sont des femmes.
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L’Office fédéral de la culture enquête
Un vent de féminisme soufflant sur le monde depuis l’affaire Weinstein, on cherche à mieux évaluer l’ampleur du phénomène. En 2017, l’Office fédéral de la culture (OFC) a lancé une collecte de données pour le cinéma et entend désormais l’étendre aux autres sphères artistiques en collaboration avec Pro Helvetia. «Il nous appartient de lancer la dynamique», note Anne Weibel, porte-parole de l’OFC. «Cette enquête est un point de départ; les chiffres récoltés vont forcément interpeller les acteurs et nous pourrons alors réfléchir à la manière concrète de soutenir les femmes.»
Quelques objectifs ont déjà été formulés, comme la nécessité de respecter la même proportion hommes-femmes dans les projets de films appuyés par l’OFC que dans les demandes déposées.
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Une charte à Locarno
Une méthode des petits pas que défend le SWAN (Swiss Women Audiovisuel Network) lancé cette année et dont la première victoire a été de faire signer une charte pour la parité et la diversité au Festival de Locarno. «Les statistiques sont un préalable car elles permettent de réaliser l’ampleur du problème, mais il faut les accompagner de bonnes pratiques telles que le mentorat, le réseautage ou l’encouragement des femmes à postuler, comme le fait l’OFC. Si cela ne suffit pas, alors il faudra en venir aux quotas», argue Stéphane Mitchell, cinéaste et coprésidente.
Quotas: le mot est lâché, et en culture, comme ailleurs, il divise.
«Selon moi, c’est une fausse solution: ce qui doit être mis en avant, c’est la compétence et la qualité du travail proposé par les artistes, quels que soient leur âge, leur origine ou leur sexe. Je suis conscient cependant d’être du bon côté de la barrière en étant un homme blanc, venant d’Europe», argue Grégoire Furrer, directeur du Montreux Comedy Festival.
Un argument souvent entendu, mais insupportable pour bon nombre de féministes. «Cela revient à dire qu’il y aurait moins de talent chez les femmes. Notre festival est la preuve du contraire», défend Anne-Claire Adet, codirectrice des Créatives, festival 100% féminin dont la dernière édition a attiré 14 000 spectateurs en treize jours de programmation éclectique. «Les quotas sont moralement compliqués mais pratiquement incontournables. On n’a pas trouvé d’autres solutions pour faire bouger les lignes.» A l’occasion d’une table ronde organisée par le festival, les autorités genevoises ont ainsi annoncé vouloir ajouter la parité dans leurs critères de soutien à des événements culturels.
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Un effet pervers des quotas?
Anne Bisang, qui, en termes de manifeste, avait produit des spectacles uniquement féminins lors de sa première saison à la tête de la Comédie, réfute les quotas. «Après des siècles de silence et d’absence des femmes dans l’histoire de l’art, je trouverais saumâtre de leur limiter l’accès. Un quota de 50% marque une barrière là où nous pourrions atteindre, pourquoi pas, un 70%!» D’autres craignent d’être assimilées à des femmes alibis.
Outre le positionnement de principe, la discrimination positive rebute certains pragmatiques. «Nous devons déjà tenir compte des différentes langues helvétiques. Ajouter un critère de genre dans un petit pays comme la Suisse confinerait au casse-tête», s’élèvent plusieurs voix. «Le Festival Images est basé sur l’adéquation entre des photographies et des lieux, qui dépend d’une multitude de facteurs. Le critère féminin est l’un de nos paramètres prioritaires mais il ne peut être le seul», plaide Stefano Stoll, directeur de cette biennale.
Le cas de la France
En France, il aura fallu une dizaine d’années après les premiers recensements pour que le milieu fasse preuve de volontarisme. Une feuille de route a été adoptée en février par le Ministère de la culture; elle fixe des objectifs visant à atteindre graduellement la parité d’ici à 2022 dans les postes de direction des institutions publiques comme dans la programmation. Ceux qui ne les respectent pas auront des malus financiers. Les quotas et le bâton.