Philosophe, spécialiste du 18e siècle et féministe contestée depuis «Fausse route», dans lequel elle reprochait aux féministes institutionnelles d’avoir fait de la victimisation leur fonds de commerce, Elisabeth Badinter a lancé la polémique de l’année avec «Le Conflit. La femme et la mère.» Dans cet essai devenu best-seller, elle dénonce l’idéologie de la mère parfaite, celle qui doit tout à son bébé. Un modèle tellement tyrannique qu’il oblige les femmes, soit à renoncer définitivement à la maternité, soit à nourrir en permanence la culpabilité de ne pas être à la hauteur. Avec ce texte, la philosophe s’est mis à dos les féministes essentialistes, celles pour qui la maternité est au cœur du destin féminin, et les écologistes qui n’ont pas apprécié d’être traitées de réactionnaires parce qu’elles militent pour le lait maternel et les langes biodégradables, «autant de retours en arrière au nom d’une nature forcément vertueuse» aux yeux de la spécialiste du 18e siècle.

C’est donc avec «beaucoup de sympathie» qu’Elisabeth Badinter observe le ramdam occasionné par de Virginie Despentes, dont la trajectoire d’autodidacte underground est pourtant très différente de la sienne. «Pour elle, je dois être une abominable bourge» s’amuse-t-elle. «Théoriquement, je n’ai rien appris en lisant «King-Kong Théorie»; ce n’est pas un essai au sens intellectuel du terme, plutôt un pamphlet inspiré de ses propres expériences. Son style, sa façon de vivre et d’écrire sont très loin de moi, pour autant, nous sommes sur la même ligne. Ce qui m’intéresse chez elle, c’est son courage, sa grande franchise et sa manière de rester ferme sur des positions minoritaires: la défense de la prostitution et des libertés sexuelles, sa culture du risque, sa façon de démonter les évidences et de sortir des assignations. Elle n’est pas du tout dans le sirupeux victimaire propre à sa génération. Elle en a bavé et pourtant a pris de la hauteur par rapport à sa propre expérience, et aux hommes. Elle a de la classe. Pour moi, en France aujourd’hui, il n’y a que deux romanciers qui ont su renouveler le rapport hommes/femmes: Virginie Despentes et Michel Houellebecq.»

L’aînée reconnaît aussi à la cadette une autre qualité: avoir réussi à intéresser les jeunes générations au féminisme, avoir trouvé les mots pour se faire entendre. «Sous l’apparence d’une absence de rhétorique, elle en a une: son «je» assumé me plaît beaucoup. Au fond, avec elle je me sens moins seule.»