En 2010, Greenberg, merveilleuse comédie anti-romantique avec Ben Stiller, était projeté à la presse pour finalement ne jamais sortir. Trois ans plus tard, le 7e long-métrage de Noah Baum­bach aura enfin été le bon pour découvrir sur grand écran ce cinéaste né à New York en 1969 et déjà repéré par les DVDphiles attentifs (Kicking and Screaming, 1995, Les Berkman se séparent/The Squid and the Whale, 2005). Jusqu’ici, apparemment, l’humour plutôt noir de ce proche de Wes Anderson ne «passait pas». Mais cela pourrait bien changer avec Frances Ha, petit film indépendant réalisé dans l’euphorie d’un nouvel amour, celui qui lie l’auteur à la comédienne Greta Gerwig, la révélation de Greenberg.

C’est ensemble qu’ils ont imaginé ce portrait d’une jeune femme de 27 ans qui soudain ne se sent plus si jeune. Frances (qui ne s’appelle pas vraiment Ha, mais on ne va pas vous déflorer la chute) est danseuse, ou plutôt voudrait l’être. Pour le moment, cette blonde un peu fofolle gagne quelques sous en faisant la doublure et en enseignant aux enfants dans un studio de danse. Elle partage un appartement à Brooklyn avec sa meilleure amie Sophie (Mickey Sumner, fille de Sting), intellectuelle acerbe employée dans l’édition. Elle rompt même avec son petit ami pour pouvoir encore mieux rêver de conquérir le monde. Mais un jour, Sophie lui annonce qu’elle la quitte pour une colocation dans un quartier branché de Manhattan. Frances a beau trouver une solution de rechange avec deux gars cool, elle perd pied…

Filmé en noir et blanc, raconté par «blocs» avec des ellipses temporelles annoncées par les adresses successives de Frances, le récit en paraît à peine un. Par petites touches rapides, il brosse pourtant le portrait attachant d’une jeune femme à la dérive dans une ville pas si accueillante que cela. Un portrait nettement plus primesautier que la Sue perdue dans Manhattan d’Amos Kollek (1997), mais tout de même avec ce qu’il faut d’inquiétude sous-jacente pour saisir à la perfection ce temps d’incertitude qui caractérise la fin de la jeunesse, même repoussée le plus longtemps possible.

Plus paumée – mais aussi plus exigeante et romantique – qu’elle n’ose se l’avouer, Frances se laisse flotter, se décrète «incasable» (undatable), sort, boit et parle trop. Un jour de retour pour les fêtes chez ses parents à Sacramento, en Californie, un autre s’offrant un week-end impromptu et solitaire à Paris, elle paraît toujours plus décalée tandis qu’elle apprend que, contre toute attente, Sophie a trouvé l’amour, s’est mariée, a déménagé au Japon puis a même eu un enfant. Pour finir, un retour humiliant à son université de Vassar pour un job d’été vaudra à Frances de découvrir enfin ce qu’elle veut: un minimum de reconnaissance, un chez-soi, une vie indépendante.

C’est tout simple, mais aussi si compliqué! Toute la réussite du film réside dans sa manière de raconter mine de rien cette histoire universelle. Hasard du calendrier, c’est plus ou moins la même que celle de Oh Boy de l’Allemand Jan Ole Gerster, autre œuvre en noir et blanc nostalgique de la Nouvelle Vague et dont le charme infuse lentement. Outre le plaisir évident de Noah Baumbach à filmer Greta Gerwig, comédienne épatante, on peut ainsi lire dans Frances Ha tous les espoirs, les angoisses et les deuils du passage à l’âge adulte, traités avec délicatesse, entre drôlerie et mélancolie. Tout l’art de transformer un «petit film indépendant» en une expérience qui compte, bien plus précieuse que n’importe quels «blockbuster» ou «comédie trash» survendus!

VVV Frances Ha, de Noah Baumbach (USA, 2012), avec Greta Gerwig, Mickey Sumner, Michael Esper, Adam Driver, Michael Zegen, Charlotte d’Amboise, Grace Gummer, Patrick Heusinger, Cindy Katz, 1h26.

Frances se laisse flotter, se décrète «incasable», sort, boit et parle trop