Drogues
Les cas d’intoxication au GHB ou à des drogues similaires ont fait couler beaucoup d’encre en Suisse romande récemment. A tel point qu’un collectif féministe a appelé au boycott des boîtes de nuit le week-end dernier. Après la fête, l’heure est aux mesures supplémentaires pour que les clubs (re)deviennent des lieux où le public se sente en sécurité

«Si tu vas en soirée, fais gaffe à ton verre! Tu as appris ce qui s’était passé récemment?» Le samedi 6 novembre, 22h30, sur la terrasse d’un bar genevois. Ambiance tendue. L’affaire présumée de spiking (agressions à la seringue) lors d’une soirée de l’Ecole hôtelière de Lausanne le 28 octobre au MAD a fait grand bruit. Deux autres boîtes de nuit romandes, Le Terreau à Genève et le Bikini Test à La-Chaux-de-Fonds, ont également averti que plusieurs personnes auraient été droguées à leur insu lors de soirées. La semaine dernière, ces cas ont provoqué de vives réactions dans divers milieux. Retour sur des jours mouvementés.
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Réunion d’urgence à Genève
L’affaire du MAD n’est pas restée très longtemps sans réponse de la part des milieux culturels nocturnes. A Genève, le Grand Conseil de la nuit (GCN) a rapidement pris acte de la situation en publiant le 4 novembre un communiqué sur Instagram, avertissant que «ses membres se sont réunis pour élaborer un plan d’action de prévention plus avancé à mettre en œuvre dès [le week-end des 6 et 7 novembre]». Si aucun des clubs partenaires du GCN n’a eu pour le moment connaissance de cas avérés de personnes intoxiquées à leur insu, l’heure était à l’introspection: «Nous nous sommes réunis en urgence pour faire un point sur ce qui a pu se passer dans certains établissements et prendre des mesures pour éviter à tout prix que des situations similaires se déroulent à nouveau», précise le comité du GCN.
Les points qui ont été soulevés concernent notamment la prévention dans les lieux nocturnes grâce à une signalétique claire et la formation des équipes des boîtes de nuit pour encadrer au mieux les potentielles victimes: «Il est primordial de former régulièrement le staff à ces questions, sachant que le monde de la nuit effectue souvent des changements d’effectifs», précise le comité du GCN.
Pouvoir parler et être écouté par un personnel alerte: deux éléments clés pour réduire les risques liés à une ingestion de drogue, volontaire ou non. Roxane Mégevand, coordinatrice du dispositif de prévention Nuit blanche, précise: «La prévention est déjà mise en place dans de nombreux clubs mais vu l’actualité elle a été renforcée, que cela soit à l’intérieur des lieux de fête ou sur leurs réseaux sociaux. Le but est de pouvoir agir en amont, en sensibilisant les gens à cette problématique, mais aussi en aval, en rappelant que le personnel des lieux est là pour aider toute personne ne se sentant pas bien ou suspectant des comportements malveillants.»
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Des formations pour traiter le problème à la racine
Le staff de plusieurs clubs membres du Grand Conseil de la nuit a déjà suivi des formations durant le mois d’octobre sur le sexisme et la consommation de drogues en milieu festif. Quatre heures de théorie puis quatre heures d’ateliers pratiques où les participants doivent collaborer pour trouver des solutions à des problématiques diverses. Ces cours sont dispensés par Nuit blanche pour ce qui touche aux stupéfiants – notamment le GHB ou les benzodiazépines qui ont des effets similaires – et par We Can Dance It pour les problématiques liées au sexisme. Anaïs Potenza, responsable des formations de cette structure, illustre: «Notre association apprend au personnel à reconnaître et à savoir gérer des situations problématiques, mais aussi à déconstruire les réflexes et les habitudes qui découlent de notre société patriarcale. Notre sensibilisation essaie de traiter le mal à la racine en culpabilisant les agresseurs au lieu de mettre la charge mentale sur les victimes.» Pour elle, les protections de gobelets ou les fouilles à l’entrée des clubs sont déjà un bon début pour dissuader, mais il ne faut pas oublier le problème de base: «La drogue comme outil d’oppression, les agressions sexuelles et la façon dont la parole des victimes est traitée.»
Selon Anaïs Potenza, la réaction de certains lieux et des autorités contribue à alimenter cette problématique: «Le problème n’est pas de savoir s’il y a vraiment eu 49 victimes au MAD de Lausanne. On observe surtout que les premières réactions de la police vaudoise et de la boîte de nuit mettaient en garde contre le côté répréhensible de la diffusion de rumeurs. Il y a une totale déconsidération de la parole des victimes et un appel au silence.»
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Le boycott comme ultime recours
Les dispositions prises par le Grand Conseil de la nuit n’ont pas convaincu certains milieux féministes. C’est le cas du collectif genevois Engageons les murs (ELM) qui a lancé un appel au boycott des boîtes de nuit. Cette idée faisait écho à un mouvement lancé au Royaume-Uni, touché par la problématique du spiking: «Ce boycott n’est pas directement inspiré de ce qui se passe dans le monde anglo-saxon, ce serait nier la réalité suisse. Notre action se bat contre des problèmes locaux qui ont lieu dans nos boîtes de nuit romandes», s’insurge Inès, l’une des membres d’ELM. Cette protestation ne représente pas forcément une méfiance frontale envers les déclarations des institutions nocturnes mais fait plutôt état de la cristallisation d’une colère face à une problématique qui aurait été trop longtemps passée sous silence: «Nous n’avons aucune envie de détruire le monde de la nuit. Cet appel au boycott est organisé pour provoquer une prise de conscience générale. Il a fallu attendre que plusieurs boîtes communiquent sur le sujet pour que de véritables actions soient mises en œuvre. Cela intervient trop tard une fois de plus.»
Le boycott concernait le week-end des 6 et 7 novembre, mais il pourrait être renouvelé tant que des solutions qu’ELM juge concrètes et adéquates ne seront pas trouvées. Les revendications du collectif sont diverses: l’organisation sporadique de soirées en mixité choisie, un staff correctement formé à ces problématiques, engager du personnel qui ne soit pas entièrement composé d’hommes cisgenres ou encore mettre l’accent sur la responsabilité des agresseurs. Pour le moment, il est difficile d’évaluer l’impact concret du boycott sur la fréquentation des boîtes de nuit. Engageons les murs envisage également une action dans les prochains jours. La date et la forme sont pour le moment tenues secrètes.