Le nom d’Eric Overmyer ne dit sans doute pas grand-chose aux téléspectateurs, mais ceux-ci reconnaîtront tout de suite certains de ses chantiers télévisuels. L’homme est une figure des séries américaines. Auteur et producteur, venu du théâtre, il débute en 1986 comme scénariste pour St. Elsewhere, première grande série en milieu hospitalier. A la fin des années 1990, il opère sur Homicide, marquante série policière, puis, durant les années 2000, il œuvre sur les diverses, et populaires, séries du filon Law and Order , notamment l’originale – en français, New York District – et New York Unité spéciale. Puis il figure parmi les principaux producteurs de The Wire (Sur écoute), de David Simon.

La série Treme , qui sort en DVD, raconte les destins de plusieurs personnages tentant de reconstruire leur vie, et leur ville, à La Nouvelle-Orléans, trois mois après le passage de l’ouragan Katrina. Eric Overmyer l’a cocréée avec David Simon. Rencontré récemment aux Assises internationales du roman, à Lyon, il raconte sa genèse, et sa vision du métier.

Le Temps. Pourquoi «Treme»?

Eric Overmyer: Dès que nous nous sommes rencontrés, David Simon et moi, sur le tournage de Homicide, nous nous sommes découvert une affection mutuelle pour La Nouvelle-Orléans. J’y ai vécu en partie quelques années pendant les années 1980. Nous avons très vite pensé à faire une série sur cette ville. Fondamentalement, nous voulions la raconter d’une manière différente que la littérature, les séries ou les films ne l’ont fait jusqu’ici…

– Comme «Angel Heart»? Le vaudou, et tout cela?

– Oui, comme Angel Heart ! Le vaudou est bien présent mais n’a rien à voir avec ce qui est montré dans Angel Heart. Ce genre de film nous rend fous. On n’a jamais montré la vraie culture de cette cité. Quand j’ai revu David Simon durant la quatrième saison de The Wire, l’été avant Katrina, nous avons relancé l’idée. David a proposé que cela tourne autour des musiciens. Idée pertinente, car c’est bien l’une des premières choses à connaître de la ville… Puis la tempête est venue, tout était ruiné, et il est devenu clair que notre histoire devrait porter sur l’après – après la catastrophe. Nous avons pitché le sujet à HBO en ce sens, une fiction démarrant trois mois après le déluge. Le projet a profité du succès de The Wire, mais nous voulions partir dans une autre direction.

– On imagine que l’écriture de «Treme» est difficile, vous oscillez toujours entre le contexte dramatique, la ville détruite, et les destins de vos héros…

– Oui, c’est un problème intéressant, que nous avons à résoudre chaque semaine. Déployer les destins individuels, tout en tenant compte de ce contexte, ce moment particulier. Nous avons tourné quatre ans après Katrina, nous avons donc fait de nombreuses recherches pour être certains de l’exactitude de nos décors. Par exemple, confirmer le fait que tel restaurant existait bien à l’époque, s’il avait rouvert ou non, ou si tel musicien était bien en ville à ce moment-là. La deuxième saison se déroule en 2007, soit deux ans après Katrina, nous devons là aussi nous renseigner sur les débats politiques qui avaient alors cours.

– C’est un risque aussi, que vous perdiez de vue votre propos central, c’est-à-dire la reconstruction de la cité…

– C’est sans doute l’un des principaux pièges dans lesquels nous pourrions tomber. Nous réfléchissons toujours au contexte social de chaque personnage, à sa lutte dans cette période, ce à quoi il doit faire face. Mais nous racontons une histoire de tous les jours, du quotidien, avec les soucis ordinaires, comment trouver de l’argent, un job, un endroit où placer ma mère pour qu’elle bénéficie de soins médicaux… Et nous avons cette dimension extraordinaire, les musiciens, la préparation du Mardi gras.

– «The Wire» portait sur Baltimore, ville dépeinte comme ordinaire. Avec La Nouvelle-Orléans, posez-vous d’emblée une différence face au reste du pays?

– La Nouvelle-Orléans rencontre les mêmes problèmes que toutes les villes américaines, mais en effet, Baltimore a quelque chose de plus typique, malgré ses spécificités. Elle est proche de Philadelphie, ou de Washington. Dans The Wire, nous pouvions avoir une vue de haut en bas, nous mettions en jeu la mairie, le conseil de la ville, l’autorité policière… Avec Treme, nous partons de la base, des gens. Dans la deuxième saison, nous introduisons les politiques, les pouvoirs publics. Nous élargirons encore pour la troisième.

– Avez-vous l’impression de faire un pas de plus dans la narration, presque sans enjeu dramatique ni suspense?

– C’est juste. Il y a bien une enquête dans la première saison, Ladonna qui cherche son frère, mais cette recherche est privée, non officielle. L’impression que vous décrivez découle de ce que nous voulions faire pour cette première saison. Par la suite, le crime reviendra, brutalement. Certains nous disent qu’ainsi Treme se rapproche de The Wire. Mais nous ne pensons pas à cela, nous essayons de refléter ce qui marquait les esprits à ce moment-là. Et après Katrina, la criminalité était terrifiante.

David Simon parle de sa fascination pour La Nouvelle-Orléans parce que c’est une «ville de culture et de mort», partagez-vous ce sentiment?

– La Nouvelle-Orléans est davantage une ville des Caraïbes, ou d’Amérique latine, ou méditerranéenne. Dans son rapport au temps, par exemple; le temps y importe davantage que l’argent. Oui, la ville fut bâtie sur un marécage infesté par la malaria et elle a longtemps été dangereuse. A travers les parades, la mort y est toujours présente, alors qu’elle est niée dans les autres villes américaines, où on la cache, on met ses proches dans des homes… Cette confrontation à la mort pousse à célébrer la vie, chaque jour.

– Vous avez une affection précise pour la culture noire américaine. Les Noirs apparaissent chez vous comme nulle part ailleurs dans la fiction TV américaine. D’où cela vient-il?

– D’un amour pour cette culture, pour la musique. Dans Homicide, nous mettions en avant de nombreux personnages noirs, ce qui était inédit à l’époque, et ce choix s’est aussi imposé pour The Wire. Quand j’ai découvert La Nouvelle-Orléans, dans les années 1970, j’ai été frappé par son aspect créole. Cette dimension se révèle profonde, dans la culture américaine. Les Etats-Unis sont une nation créole. Cette réalité apparaît clairement dans un faubourg comme Treme. Et pour moi, voilà le vrai sujet de la série, plus que l’exploration d’une ville comme cas d’étude.

– Ce qui constitue la méthode de David Simon… Vous prenez-vous souvent le bec?

– Disons que nous avons des discussions parfois animées! Il est journaliste, à la base, et je suis auteur. C’est une dialectique.

– Avez-vous parfois des remarques sur vos fictions noires… écrites par des Blancs?

– Parfois, pas tant que cela. David en avait eu davantage durant The Wire. Certains demandent de quel droit nous racontons les parcours de tels personnages. Or un artiste peut choisir de fonctionner à son empathie. Remarquez que nous n’avons pas ce genre de commentaires à La Nouvelle-Orléans. Et nous faisons confiance à nos acteurs, pour nous dire si nous allons dans la mauvaise direction, si nos mots sont faux. Ils ne se gênent pas pour le faire…

– Avec «Treme», vous revenez aux années Bush… Comment voyez-vous votre pays à présent?

Après l’élection de Barack Obama, nous étions comme dans un conte de fées. On sortait du cauchemar… Obama se trouve dans une situation pénible, il fait ce qu’il peut. Ce n’est pas parfait, mais nous sommes sortis d’une dépression, au sens psychologique, de huit années…

– Ecrivez-vous toujours pour le théâtre?

– Oui, je prépare un spectacle. Si vous exercez uniquement l’activité d’auteur de TV, c’est atroce. Vous êtes un laquais, un plumitif en location. Les débuts, dans une équipe d’auteurs, sont épouvantables, même si l’on est bien payé. A ce point de ma carrière, j’ai atteint un stade où je suis auteur et producteur. J’ai un plus grand contrôle, je peux diriger l’écriture des épisodes. Et œuvrer pour Treme, un projet commun avec David Simon, que nous construisons, se révèle passionnant. Parce qu’il est question de musique. J’ai travaillé sur des séries policières, judiciaires, médicales… Mais la musique, c’est quand même autre chose…

– Vous êtes peu nombreux à écrire «Treme», est-ce un atout?

– C’est en effet très différent des séries des grands réseaux. Il est plus créatif, à mon sens, de phosphorer à quatre ou cinq qu’à une dizaine ou plus.

– Vous avez été invité par les Assises internationales du roman, une manifestation littéraire. Voyez-vous un lien entre littérature et séries?

– Non! On peut penser que certaines séries dramatiques, très écrites, telles que The Wire ont quelque chose du roman, qu’elles partagent le même storytelling. Mais je pense que l’écriture de séries et la littérature n’ont vraiment rien en commun. La rédaction de scripts, surtout pour les séries, tient de l’esquisse, comme les dessins préparatoires d’un architecte. Un scénario est illisible, vous ne le lirez jamais pour le plaisir. Le film, ou la série, sera toujours entre vous et le texte.

– Pourtant, certains écrivains ne cachent plus leur admiration pour vos séries…

– Je ne doute pas que certains romanciers soient inspirés par les séries ou le cinéma. Moi-même, je m’inspire de certains écrivains, mais cela ne signifie pas pour autant que mon travail est littéraire.

– Comment voyez-vous l’état de la fiction TV américaine aujourd’hui?

– L’avenir dépendra surtout des producteurs et des chaînes. Pour nous, pour Treme, rien ne serait possible sans HBO, qui est à la fois producteur et diffuseur. On voit toutefois que le système change. FX a commandé une série qui sera montrée sur Internet, puis publiée en DVD. Les modèles économiques évoluent vers le tout numérique. Nous tournons toujours en pellicule; nous sommes peut-être les derniers à recourir ainsi au 35 mm…

– Mais la situation semble bonne pour vous, les auteurs: après tout, vous bénéficiez de la concurrence entre les chaînes payantes, HBO, AMC, FX…

– Absolument, la période est favorable. Mais elle est due aussi à la faiblesse des studios en matière de cinéma. Les studios ont pour la plupart renoncé à produire des films sérieux, ils ne font que des suites et des spectacles pour parc d’attractions. Notre style de fiction TV remplit un vide. Il y a le cinéma indépendant, et nous.