Festival
Les organisateurs n’ont pas attendu que le Conseil fédéral ne décide rien pour anticiper l’annulation de leur manifestation. Pour que la catastrophe économique ne soit pas totale

«Pour les grandes manifestations de cet été, nous savons que des attentes existent. Le Conseil fédéral a décidé de se faire une vision globale de la situation pour une des prochaines séances.» Il est 15h30, ce jeudi, lorsque Alain Berset annihile tous les espoirs des organisateurs de festival d’obtenir une interdiction claire. A ce moment-là, Paléo a déjà prévu son communiqué de presse de report de l’édition 2020 à l’année prochaine, publié dans la foulée de la conférence du Conseil fédéral. Devant sa télévision, Daniel Rossellat, président du festival nyonnais, n’est même pas surpris des atermoiements du Conseil fédéral: «Ce qui est décevant, c’est qu’on les a pourtant bien documentés sur nos impératifs. On avait largement expliqué à Alain Berset nos enjeux. Nous ne pouvions pas nous permettre d’annuler à la dernière minute.»
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En réalité, quelques jours seulement après l’édiction des mesures de confinement, Daniel Rossellat crée au sein du bureau du festival une petite équipe vouée à échafauder des scénarios possibles. «Le 21 mars, je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai rédigé sur quatre feuillets, à la main, des hypothèses. Et j’ai ensuite demandé à notre avocat de nous donner un avis de droit.»
Le 5 avril, Me Etienne Monnier envoie un document de 11 pages, que Le Temps s’est procuré, où il est conclu que, si les festivals annulent leur édition sans interdiction formelle du Conseil fédéral, ils ne seront pas contraints d’en supporter la responsabilité économique, et ceci même si l’épidémie n’oblige plus au confinement. Daniel Rossellat partage cet avis avec tous les autres festivals romands; ils s’en servent pour enfin prendre une décision qui semble s’imposer à eux depuis plusieurs semaines. Le Montreux Jazz Festival, par exemple, annoncera vendredi l’annulation de son édition 2020.
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Situation intenable
Patron du festival Sion sous les étoiles, agendé du 8 au 11 juillet, Michael Drieberg a forcément lui aussi suivi la conférence de presse: «Je peux vous annoncer aujourd’hui que nous allons annuler notre édition. Mais je suis estomaqué par le manque de courage politique du Conseil fédéral. L’Allemagne, la Belgique, le Danemark et même la France, qui a étendu son interdiction jusqu’à mi-juillet, ont pris leurs responsabilités. On nous demande à nous, organisateurs de spectacles, de prendre une mesure sanitaire. C’est invraisemblable!»
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Si la demande d’une décision fédérale était pressante, c’est que chaque jour qui passe génère son lot de frais pour les festivals. Pour son open air, qui a réuni l’année dernière plus de 60 000 personnes, Michael Drieberg estime avoir déjà investi entre 500 000 et 1 million de francs. Quant à Jacques Monnier, cofondateur et programmateur de Paléo dont le budget atteint les 30 millions de francs, il annonce une perte de 6 millions.
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Attendre davantage, c’est mettre en danger l’existence même des festivals. Le directeur de Festi’neuch, Antonin Rousseau, n’annonce pas encore l’annulation de la manifestation neuchâteloise, qui doit avoir lieu du 11 au 14 juin: «Chaque jour qui passe rend notre situation plus intenable. Nous devons commencer le montage dans un mois. Nous avons besoin d’une décision politique.» Pour certains autres festivals de plus petite taille, quelques jours d’attente semblent encore envisageables. Xavier Meyer, le directeur du festival fribourgeois Les Georges, a dévoilé mercredi la programmation de sa 7e édition qui devrait avoir lieu mi-juillet: «Si le Conseil fédéral décide de ne pas décider, nous allons faire la même chose. On va patienter sans se faire d’illusions.»
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Eviter des faillites
Il y a très peu de chances qu’un festival de musique ait lieu cet été. «Même si nous avons l’autorisation de tenir notre édition, avance le coordinateur du JVAL à Begnins, qui voudra prendre ce risque parmi les organisateurs et combien de spectateurs accepteraient de venir?» Ce domino d’annulations ou de reports (Montreux et Paléo vont proposer en 2021 une programmation presque identique à celle de 2020, par solidarité envers les artistes invités) aura d’immenses conséquences économiques.
Nicole Minder, cheffe du Service des affaires culturelles du canton de Vaud (SERAC), est aux premières loges de cette catastrophe industrielle pour les milieux artistiques. Son service gère un fonds d’urgence et d’indemnisation de 39 millions de francs destiné au secteur culturel vaudois. «Il apparaît que ce sont les institutions et les événements les moins subventionnés qui vont en premier lieu souffrir de cette crise; ce sont eux qui sont le plus soumis aux aléas de la billetterie et du sponsoring.»
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Dans les prochains jours, des festivals qui ne dépendent que très marginalement ou pas du tout de l’aide publique vont se rendre sur le site du SERAC et remplir la demande d’indemnité en ligne. Pour le Montreux Jazz et Paléo, c’est une première. «Grâce à la Confédération, explique Nicole Minder, nous disposons d’un outil inédit d’aide qui évitera sans doute des faillites.»
Collaboration: Virginie Nussbaum