Événements
Elles ont été annulées pour l’été, mais les grandes manifestations risquent bien de faire leur retour d’ici quelques mois. Le public sera-t-il seulement prêt à s’amasser à nouveau? Pour les experts, notre amour de la foule l’emporte encore sur l’angoisse sanitaire

La crise mondiale du Covid-19 va-t-elle changer la pratique politique, l’économie, la société, la culture? Nous consacrons une série de près de 30 articles à ce sujet, durant plusieurs jours sur notre site, et dans un numéro spécial le samedi 13 juin.
Retrouvez, au fur et à mesure, les articles dans ce dossier.
Se presser devant la scène d’un grand festival, joindre son chant à celui de milliers d’autres supporters, écouter le pape sur une place Saint-Pierre noire de monde: ces expériences semblent étrangement lointaines, presque irréelles. Depuis plusieurs mois, le coronavirus nous a privés de tout grand rassemblement – et la limite à 300 personnes les a condamnés au moins pour tout l’été.
Au vu du recul de la pandémie, il semble toutefois probable que l’on puisse reprendre la route des festivals, foires d’art et forums économiques dans quelques mois. L’OMS a d’ailleurs publié, le 29 mai, une série de recommandations pour l’organisation de futures manifestations «de masse». Mais quid du public, à qui l’on a martelé le danger de la proximité? Sera-t-il prêt à replonger, tête baissée, dans un bain de foule?
Besoin viscéral
Il faudra du temps, estime Laurence Kaufmann, sociologue à l’Unil. «Nous avons passé des mois à considérer l’autre comme un obstacle à contourner. La rencontre est devenue source d’inquiétude, d’une forme de culpabilité. Les lieux publics ont perdu leur innocence et tout ça va se reconstruire lentement.»
Parallèlement, Laurence Kaufmann constate dans la population un fort besoin d’être ensemble après avoir été privé de la présence de l’autre. Un appétit que les concerts virtuels, selon elle, ne réussiront jamais à assouvir. «A cause des minuscules décalages durant ces Zoom, que notre cerveau essaie de pallier, on finit par se sentir désaccordé comme un piano! La sensation de faire partie d’un collectif doit venir du corps, des tripes.»
Une proximité physique fondamentale, affirme Eduardo Cintra Torres. Pour ce professeur assistant à l’Université catholique de Lisbonne, spécialiste de l’étude des foules, celles-ci permettent d’échapper à la solitude du quotidien, de se sentir immergé en société, de recharger ses batteries. «Si l’on se rend à un festival, c’est pour les gens: la musique n’est qu’un prétexte!» Cet appel de la masse, viscéral et commun à tous les êtres humains, ne s’est pas évanoui avec le Covid-19, assure Eduardo Cintra Torres. Et de citer comme preuve une expérience portugaise: début juin à Lisbonne, un concert rassemblant 2000 personnes a affiché complet… en dix minutes.
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Nouvelles normes
Au Paléo, Daniel Rossellat ne s’inquiète pas non plus du retour des festivaliers. «En général, les gens s’accommodent des risques, comme lorsqu’ils mangent trop sucré ou prennent la voiture. Sans oublier que la majorité des amateurs de grands évènements sont des jeunes, qui ont particulièrement intégré ces risques et ont envie de retrouver une forme de normalité.» La plupart des détenteurs de billets ont d’ailleurs accepté de les reporter à l’édition 2021. «Il faudra refaire le point dans six mois. Mais la ferveur risque d’être encore plus forte!»
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Si le festival nyonnais n’évoque pas encore de mesures destinées à protéger (et rassurer) son public, des chercheurs s’interrogent déjà: comment concilier foules et sécurité sanitaire? Fergus Neville, chercheur à l’Université de St Andrews en Ecosse, en est persuadé: il faut générer de nouvelles normes. «Il a été prouvé que les gens se sentent à l’aise lorsqu’ils sont entourés de personnes du même groupe social – des fans de la même équipe de football, par exemple, explique Fergus Neville. Ils n’hésiteront pas à se prendre dans les bras ou à partager un verre. Pour que la foule adhère à une nouvelle règle, comme le maintien des 2 m de distance, elle doit la percevoir non pas comme imposée de l’extérieur, mais servant le bien du groupe.»
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Un message solidaire et bien formulé serait donc la clé d’un rassemblement post-Covid réussi. Pour Fergus Neville, cette crise aura même redoré le blason de la foule, souvent considérée comme irrationnelle, voire dangereuse. «Nous nous sommes rendu compte qu’un match ou un concert sans foule n’avaient que peu d’intérêt. Cela encouragera peut-être l’organisation de grands évènements dans le futur. Ils sont importants pour notre société.»
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