La fin justifie les médias
Drame «Night Call» dénonce le sensationnalisme avec cynisme
Frère cadet de Tony Gilroy (Michael Clayton, Duplicity), lui-même scénariste (Two for the Money, The Bourne Legacy), Dan Gilroy se devait de s’essayer à son tour à la réalisation. C’est chose faite, un peu tard, avec ce Nightcrawler qui vaut mieux que son titre «français» de Night Call. Un film qui se penche sur une supposée dérive médiatique à l’heure de l’information atomisée par la multiplication des canaux de diffusion. Un produit hollywoodien, mais moins lisse que d’autres et porté par un surprenant Jake Gyllenhaal.
Inquiétant Jake Gyllenhaal
L’acteur intense de Zodiac et Prisoners incarne ici Lou Bloom, un jeune homme un peu paumé de Los Angeles. Solitaire, mal coiffé, consumé par le temps passé sur Internet: un vrai creep! Rôdant une nuit, il tombe sur un accident et, en observant des reporters-vautours à l’œuvre, a une sorte de révélation: il est fait pour ce business! Bientôt, il réussit à vendre ses propres images à une chaîne de TV locale et, avec l’aide de son premier employé, devient un chasseur de sensations de plus en plus efficace. Au grand dam de la police, dont il a piraté la fréquence, et jusqu’au jour où il franchit la ligne interdite en «arrangeant» une scène de crime…
Etude de caractère trouble plutôt que thriller ou leçon de moralité, le film accroche vite grâce à un beau travail nocturne du chef opérateur. La mise en scène est solidement classique et Jake Gyllenhaal inquiétant à souhait, sans oublier de jolis rôles de «mentors» involontaires pour Bill Paxton et Rene Russo (Mme Gilroy à la ville, en responsable de programmes).
Dommage dès lors que cet exposé du cynisme des médias à l’heure digitale, dans la droite lignée du Gouffre aux chimères (Ace in the Hole) de Billy Wilder, Network de Sidney Lumet ou Broadcast News de James L. Brooks, devienne si lourdement démonstratif. Prévisible, le scénario laisse bientôt entrevoir ses ficelles, limite grotesques, jusqu’à sa fin «amorale». D’où un film qui laisse un arrière-goût de cendres caractéristique: celui des œuvres rattrapées par ce qu’elles se proposaient justement de dénoncer.
VV Night Call (Nightcrawler), de Dan Gilroy (Etats-Unis 2014), avec Jake Gyllenhaal, Rene Russo, Riz Ahmed, Bill Paxton, Kevin Rahm, Michael Hyatt, Ann Cusack. 1h58.