La chute du régime soviétique a accéléré la fuite des vedettes. Et pas seulement chez les danseurs mais également du côté de l'opéra, l'autre fleuron de la maison.
Démiurge infatigable, Valery Gergiev se bat depuis 1988 pour redonner son lustre au Mariinsky et le rétablir parmi les meilleures scènes mondiales. Devenu la baguette russe la plus en vue, le chef a choisi l'opéra pour mener sa bataille. Il a multiplié les initiatives (tournées à l'étranger, enregistrements sous le label Philips) pour sortir de l'oubli le patrimoine lyrique russe. Il se fait désirer et même coproduire par les plus grandes scènes internationales. Il a également fondé un festival, Les Nuits blanches de Saint-Pétersbourg, qui connaît un écho grandissant.
On imagine le choc lorsque le 5 septembre 2003, à trois heures du matin, un atelier contenant les décors et costumes d'une trentaine de productions historiques a soudain pris feu. Déterminé à «faire renaître le phénix de ses cendres», Valery Gergiev a exploité son carnet d'adresses pour récolter des fonds privés. Entreprises russes (fait exceptionnel) et occidentales ont répondu à l'appel. Avec 25 millions de dollars, et 15 millions offerts par l'Etat, il est parvenu à donner une seconde vie au bâtiment. Au lieu d'un atelier, c'est une nouvelle salle de concerts, conçue par l'architecte français Xavier Fabre et par l'acousticien japonais Yasuhisa Toyota, qui occupe l'ancienne enveloppe du bâtiment incendié (lire ci-dessous).
Annoncée à grand fracas, cette salle n'est qu'un maillon dans un chantier bien plus vaste. D'une part, le bâtiment historique («Mariinsky I») attend sa rénovation future. D'autre part, un édifice moderne («Mariinsky II»), adossé à l'ancien, dont les travaux ont été confiés à l'architecte français Dominique Perrault sur concours international, verra le jour d'ici à fin 2009. Cette procédure n'est pas dans les habitudes du Kremlin: le dernier concours international d'architecture date de 1931. Il s'agissait du Palais des Soviets pour lequel Le Corbusier avait concouru...
Les débats furent vifs dans la presse locale, certains habitants craignant l'irruption d'un monstre contemporain dans le vieux Saint-Pétersbourg. «Ce sera un opéra de standard international, pourvu d'une coupole dorée qui s'intègre - même si elle est d'une écriture baroque moderne - dans la silhouette des bulbes, coupoles et flèches de la ville, explique l'architecte. Ce sera un lieu culturel, avec un musée, un restaurant, une librairie, un magasin de disques, etc.» Le coût de cette bagatelle? 200 millions d'euros, entièrement financés par le gouvernement.
Sera-t-il confronté aux mêmes embûches que celles rencontrées par son collègue Xavier Fabre pour la salle de concerts? En effet on apprend, de source indirecte, que le chantier fut une «expérience douloureuse»: délai quasi suicidaire (14 mois), plans d'exécution de l'architecte partiellement respectés (décoration intérieure modifiée), ordre des travaux non suivi, etc. Seule la salle de concerts refléterait fidèlement les dessins de l'architecte. Xavier Fabre n'en a pas soufflé mot lors de la conférence de presse. Elégant, discret, cet ancien étudiant de l'Ecole polytechnique de Zurich s'est retrouvé parachuté dans le projet alors qu'il était chargé initialement de la rénovation du «Mariinsky I». Il a appris récemment qu'il devra attendre fin 2009 (au plus tôt) une fois que le nouveau théâtre sera construit, pour entreprendre les premiers travaux.
Conscient des difficultés qui l'attendent, Dominique Perrault se montre confiant: «Contrairement à Xavier Fabre, qui est dans une procédure privée, je suis moi-même le signataire du contrat avec le gouvernement russe. Les constructeurs ne pourront pas adapter ni interpréter les documents donnés.»
De son côté, Valery Gergiev jubile: «Il y a à peine huit ans, les observateurs annonçaient le naufrage du pays. La santé de l'économie russe prouve le contraire. La Russie doit gagner en confiance. A moins qu'ils ne trouvent leur propre voie, les Russes ne seront ni heureux ni satisfaits.»