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François-René Duchâble, l'échappée belle

Après trente ans de carrière, le pianiste français se retire de la scène musicale.

La musique est toute sa vie, mais ce qu'elle a impliqué pour lui a bien failli le rendre fou. Un soir il y a cinq ans, au beau milieu du concert, la décision s'est imposée à François-René Duchâble: arrêter. Cesser le grand cirque. Ne plus être «un marchant de doubles-croches». Il a rempli ses derniers engagements, et tourne aujourd'hui la page, avec panache.

Ainsi, tout l'été de ses 51 ans, le pianiste multiplie les rites qui marquent son passage à une nouvelle vie de musicien indépendant. Samedi passé, il a inauguré le lancer de piano par hélicoptère, au-dessus du lac du Mercantour. Une manière radicale de couper le cordon qui le reliait, depuis près de quarante ans, à des obligations qu'il n'avait pas choisies. «Les êtres qui promettent sont pris en otage par la société», constate-t-il. Lui s'est vu otage de son don pour le piano, qui lui a amené un premier Prix au Conservatoire de Paris à 13 ans, puis celui du Concours Reine-Elisabeth en 1968.

Trois carrefours importants dans ce qu'il faut bien appeler la «carrière» de cet enfant de Paris qui n'aime que la campagne: les rencontres d'Arthur Rubinstein en 1974, qui lui ouvre des portes, d'Herbert von Karajan en 1980, qui le lance dans la course folle des solistes d'élite. Puis la proposition d'une intégrale des Concertos de Beethoven en 1988. A chaque fois, Duchâble se sent conduit là où il n'est pas sûr de vouloir aller. Lui qui n'aime ni les voyages ni les hôtels choisit d'espacer les concerts, de s'y rendre en voiture ou en train, pour éviter les aéroports qui provoquent un «double déracinement».

Alors, enfin, Duchâble largue les amarres: «Je veux me purifier du poids et des souillures de la carrière. Je veux que ce piano de concert, pareil dans toutes les salles, devienne léger, qu'il devienne deltaplane…», expliquait-il dans les colonnes du Nouvel Observateur. Il réitère la cérémonie dans le lac d'Annecy le 29 août, en jetant une carcasse de piano depuis un dirigeable. Ça lui rappelle «Dali tuant les cygnes à la grenade». Et jeudi, dernier soir de juillet, il a livré son ultime prestation de concertiste au turbin, dans le village varois de Mazaugues, 500 habitants et un festival d'été confidentiel, auquel tout journaliste était prié de ne pas mettre les pieds. Ce soir-là, Duchâble a brûlé son costume de scène, parce que «la queue-de-pie est le symbole de la Compétition, de la Concurrence». Le pianiste jette le frac au feu, les contrats au milieu, et s'en va, à pied, à travers l'Ardèche, faire de la pêche à la mouche…

Aujourd'hui, il se sent comme un forçat libéré. S'il n'exclut pas de donner quelques concerts par an, il veut s'adresser au public des écoles et des rues; participer à des spectacles interdisciplinaires, et enseigner. Duchâble a fait construire la machine de ses rêves: un vélo à clavier, appelé «pianocipède» ou «tripianoporteur», qui lui permet de jouer, en maillot jaune, dans les patelins qu'il affectionne. Il retrouvera aussi son refuge savoyard, où il pourra jouer «Mozart pour les oiseaux», soigner ses ânes et lire Dostoïevski. Et de là – peut-être en pianocipède – se rendre au Conservatoire de Lausanne, où il enseignera dès cet automne.