Géraldine Borio, une passion d’architecte, de Hongkong à Troistorrents
Portrait
Elle est fascinée depuis l’enfance par l’Asie et ses métropoles. Et notamment par ce qu’elle nomme les «espaces interstitiels» pleins de vie entre les gratte-ciel
Comment fait-on pour passer d’une des plus grandes métropoles asiatiques, Hongkong, à une commune de 5000 âmes nichée dans le val d’Illiez, en Valais? Géraldine Borio l’a fait avec son compagnon de vie, David, et leur fils, Jim, 7 ans. «Après tant d’années dans une immense ville d’Asie, nous aspirions à un peu de sérénité. Et nous sommes très attirés par la montagne», explique-t-elle en toute simplicité.
Née à Morges il y a tout juste 42 ans, Géraldine Borio est fascinée par l’Asie dès l’enfance. Et y passe toutes ses vacances depuis l’âge de 19 ans. Elle obtient son master en architecture à l’EPFL et le complétera plus tard par un doctorat de l’Institut royal de technologie de Melbourne (RMIT). Elle a fondé à Hongkong le Borio Lab, un laboratoire de recherche indépendant, et cofondé auparavant avec une amie suisse Parallel Lab Research and Architecture. Elle a été, jusqu’à la fin de 2021, professeure assistante à l’Université de Hongkong tout en travaillant pour des cabinets d’architecture à Tokyo, Pékin et Hongkong.
Pékin par le lac Baïkal
Mais tout cela commence de manière très aventureuse. Fraîchement diplômée de l’EPFL et toujours aussi avide d’Asie, un jour de 2007, Géraldine Borio monte dans le… train, direction Moscou, avec quelques camarades d’études. Puis ce sera le Transsibérien, Omsk, Irkoutsk, le lac Baïkal, Oulan-Bator, Pékin. «On était à la veille des Jeux olympiques de 2008, je me disais qu’il devait y avoir du travail pour moi.»
Elle frappe à toutes les portes. Avec un succès mesuré. Finalement, après un détour par l’Inde, elle trouvera quand même un job d’architecte pendant six mois, «payé au lance-pierre». Puis elle tente sa chance à Hongkong. Le train encore: 2500 kilomètres, 24 heures de voyage. «Malgré mon anglais scolaire, j’ai tout de suite trouvé un emploi dans une boîte internationale de 700 personnes. » Elle y passe une année et demie.
Dans cette mégapole de 7,5 millions d’habitants construite tout en hauteur vu l’exiguïté du terrain (1100 km2, soit quatre fois le canton de Genève), elle se passionne pour les espaces interstitiels entre les gratte-ciel. Car à l’ombre des tours de 200 à 400 mètres de haut, il y a toute une ville qui grouille et s’épanouit. Un monde parallèle, discret, caché, qui forme un réseau dont on peut faire le tour à pied. «Ce ne sont pas des bidonvilles, ni des dortoirs de fortune. Il n’y a là rien de glauque, précise Géraldine. On trouve des échoppes, des ateliers, des jeux d’argent, des gens occupés au tri des déchets, à la récupération. C’est pauvre, mais au moins ce n’est pas réglementé.»
C’est sur le terrain de ces espaces intermédiaires informels, de ces entre-deux cachés, que Géraldine Borio trouve le sujet de sa thèse de doctorat qu’elle développera au RMIT. Elle traduit ensuite ses recherches sous forme d’ouvrages, notamment Looking for the Voids. Learning from Asia’s Liminal Urban Spaces as a Foundation to Expand an Architectural Practice, paru en 2015. Elle en a également réalisé les épures et les photos. C’est le résultat d’années d’investigations dans les métropoles de Hongkong, Bangkok et Séoul. «L’idée est de définir le vide, d’articuler de petits espaces, de superposer les fonctions, de valoriser la frugalité des interventions et des matériaux utilisés.» D’autres ouvrages suivront.
Serrage de vis
«A Hongkong, raconte Géraldine Borio, il faut savoir être très mobile. On ne se projette jamais dans le temps. Quand on trouve un appartement dans une tour, on signe un bail d’un an. On pourra le prolonger au mieux d’une nouvelle année. Puis le loyer augmente, et l’on est obligé de s’en aller. Quoi qu’on fasse, on est toujours sur le départ. J’ai vécu au moins huit ans dans ce type de logement et déménagé quatre ou cinq fois.» Puis, avec son compagnon de vie, David, professeur de yoga à Hongkong, et leur petit garçon, Jim, ils quittent la fournaise urbaine pour une petite île d’un kilomètre carré, sans voitures, à une demi-heure de ferry de la mégapole. «Il n’y avait que 5000 habitants. Comme à Troistorrents», sourit-elle.
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Depuis quelques années, on le sait, Pékin a serré la vis dans l’ancienne colonie britannique. L’accord de cession de Hongkong à la Chine prévoyait une période de transition de cinquante ans, jusqu’en 2047, sous forme de région administrative spéciale. Avec l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, le principe «un pays, deux systèmes» formulé à l’époque par Deng Xiaoping prend la poussière. Depuis la révolte de 2019 et malgré la victoire écrasante du camp pro-démocratie cette année-là, les libertés individuelles ne sont plus guère garanties dans l’ancienne colonie britannique. Avec la crise économique et le covid, c’est un des facteurs qui décident Géraldine, David et le petit Jim à rentrer en Suisse en décembre 2021.
«Mais Troistorrents ne me sert que de camp de base, assure Géraldine. J’ai toujours des sujets de recherche à Séoul et Tokyo. Je retournerai voir sur place.»
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Profil
1981 Naissance le 24 avril à Morges.
2007 Départ pour l’Extrême-Orient avec le Transsibérien.
2015 Parution de l’ouvrage «Looking for the Voids».
2016 Parution de «Hong Kong In-Between» et de «The People of Duckling Hill».
2021 En décembre, retour en Suisse, à Troistorrents (VS).
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