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Géricault peint les enfants rebelles

Le Musée des beaux-arts de Lyon présente cent quarante œuvres du peintre français placées sous le signe de la folie, pour mieux dénoncer les errances politiques et sociales de son temps.

Naufragés dont on sait qu'ils ont survécu en consommant les corps de leurs camarades, têtes et membres de suppliciés, chevaux morts à la tâche: les plus célèbres tableaux de Géricault attestent l'orientation morbide de son travail, du moins son «inquiétante étrangeté». L'exposition que consacre le Musée des beaux-arts de Lyon au peintre français, mort prématurément en 1824 des suites d'une chute de cheval, cinq ans après avoir livré son chef-d'œuvre, Le Radeau de la Méduse,entend infléchir cette image de l'artiste maudit, lui-même tenté par la folie, pour brosser un portrait plus frais, plus juste sans doute. Celui d'un génie qui utilisa en toute conscience le concept de folie pour qualifier, à travers ses toiles, les dessins qui les précèdent et accompagnent, son époque d'une part, les faits et gestes de l'humanité tout entière d'autre part.

Doté d'un revenu qui lui assure l'indépendance, le jeune artiste, élève du peintre très classique Pierre Guérin, concurrent de David, se manifeste par son travail assidu, la susceptibilité de son caractère et son talent novateur - romantique. S'il traite la peinture d'histoire, c'est du point de vue de l'être humain, du peuple, contre la folie des chefs, contre la guerre. Certes, Théodore Géricault, qui était né en 1791 et qui devait mourir avant d'avoir atteint l'âge de 33 ans, s'engagea comme mousquetaire de Louis XVIII, certes il fit le voyage de Rome, à l'instar de la cohorte des jeunes peintres ambitieux. Mais ce fut pour mieux dire sa colère et dépeindre la débâcle (celle de Napoléon comme celle de la Maison du Roi). Ce fut pour mieux observer la vie, et la mort, sous toutes leurs formes, et renouveler ses sujets, non en puisant dans le stock des thèmes antiques, mais en s'intéressant aux scènes de boucherie (l'abattage des bœufs), aux courses de chevaux, aux visions de la peste et au spectacle offert par quelque «pauvre famille».

Dans ces tableaux, dans les dessins et les lithographies (à Lyon, une quarantaine de peintures pour une centaine de travaux graphiques, au trait magnifique, que la technique utilisée soit la plume, le lavis, le crayon noir ou rouge, le bistre), le rendu des animaux, des chevaux en particulier, est aussi expressif que celui des hommes, des femmes, des enfants. Les enfants, justement: le tableau retenu pour l'affiche de l'exposition est le double Portrait d'Alfred et Elisabeth Dedreux (1817-1818). Le frère et la sœur, «créatures insolites», ne sont pas sans évoquer les enfants dans les tableaux de Balthus, lequel s'est d'ailleurs vivement intéressé à l'œuvre de Géricault.

Un autre portrait d'enfant, celui de Louise Vernet, a pu être critiqué comme «la bizarre production d'un Michel-Ange égaré au rayon des poupées» (J. Thuillier). Les organisateurs de la manifestation réhabilitent ces «erreurs volontaires» et leur vocation subversive. Les membres épais, le relâchement de la touche et surtout l'incroyable gravité des visages, regard adulte serti dans une jeune chair, posent le modèle presque comme un accusateur, qui semble demander: qu'allez-vous faire de moi, quel adulte dans votre monde d'adultes?

La visite, suivant la logique du thème de la folie, s'achève auprès de la série des «monomanes». L'un, baptisé La Monomane de l'envie, fait partie de la collection du Musée de Lyon depuis près d'un siècle. Ces études de fous, proches de la théorie de la physiognomonie mise au point par Lavater, représentent la tentative de visualiser les symptômes d'individus enfermés en eux-mêmes et de rendre compte des défaillances du système social.

On aura compris que la visite proposée n'est pas à proprement parler riante, mais qu'elle met en évidence la capacité de Théodore Géricault de dépeindre les soubresauts de la vie, les blessures qu'elle inflige, ainsi que l'orgueil et la vitalité des êtres qui s'y débattent.

Géricault, la folie d'un monde. Musée des beaux-arts de Lyon (place des Terreaux 20, tél. 0033/472 10 17 40). Me-lu 10-18h (ve 10h30-20h). Jusqu'au 31 juillet.