Exposition
Avec le réchauffement climatique, les sommets alpins fondent plus vite que jamais, révélant objets et restes humains parfaitement conservés. Une exposition au Musée d’histoire du Valais éclaire cette archéologie des cimes

On les pensait disparus à jamais. Et pourtant, ils étaient là, reposant paisiblement dans les neiges des Diablerets: Francine et Marcelin Dumoulin, époux saviésans disparus en 1942, ont été retrouvés l’été dernier sur le glacier de Tsanfleuron par un employé du domaine skiable avoisinant. Emprisonnés pendant septante-cinq ans dans un manteau de glace, à plus de 2600 mètres d’altitude, les deux corps momifiés sont apparus parfaitement conservés, encore entourés de leurs effets personnels.
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Si le cas Dumoulin a fait grand bruit dans les médias suisses et internationaux, il n’est de loin pas unique. Chaque année, les glaciers, en se retirant, rejettent objets et restes humains qu’ils gardaient jusque-là précieusement ensevelis. Et la tendance ne va aller qu’en s’accélérant: conséquence directe du réchauffement climatique, 80% de la surface glaciaire des Alpes valaisannes devrait avoir fondu en 2060. Et ainsi mis au jour des trésors vieux de cinquante ans, deux siècles, voire plusieurs millénaires.
Epée et chausse-pied
Des trésors qui ont de nombreux secrets à révéler, comme en témoigne Mémoire de glace: vestiges en péril, nouvelle exposition du Musée d’histoire du Valais. Dans un petit espace bien agencé, l’institution sédunoise présente une sélection thématique de pièces retrouvées sur les cimes, allant de harnachements en cuir destinés aux mulets à une paire de raquettes datant du néolithique.
Si certains objets restent mystérieux, comme ces bâtons courbés, probablement destinés à marquer un itinéraire à l’âge du fer, d’autres racontent l’histoire d’emblématiques personnages. Celle des Dumoulin tout d’abord, dont on retrouve avec une certaine émotion la montre à gousset, le sac à dos froissé et la bouteille de limonade, mais aussi celle du mercenaire de Théodule, retrouvé sur le glacier du même nom dans les années 1980.
«On le nomme ainsi car cet individu, probablement tombé dans une crevasse au début du XVIIe siècle, a emporté avec lui armes et bagages, dont une dague, une épée, un pistolet mais aussi un chausse-pied», détaille Pierre-Yves Nicod, conservateur du département Préhistoire & Antiquité du Musée d’histoire du Valais et commissaire d’exposition.
Pompéi version glacée
Ces baluchons éclairent les historiens sur l’évolution des équipements, mais pas seulement. «Ce sont des sortes d’instantanés à la Pompéi qui nous permettent de retracer le mouvement des populations à travers les Alpes, avance Caroline Brunetti, archéologue cantonale. Et de les mettre en corrélation avec des évolutions de langues, de mentalités survenues dans nos régions. Un peu comme les bains thermaux sont arrivés chez nous parce qu’on est venu nous expliquer comment les bâtir!»
Mais les crêtes alpines ne se réduisent pas à des lieux de passage. Les hommes ont également tiré profit de leurs ressources, comme en témoignent des restes d’une exploitation de quartz, convoité dès le VIe millénaire avant notre ère, ou de matériel de chasse.
Hostiles, les glaciers se sont souvent révélés sans pitié pour qui a tenté de les traverser. Dans l’espoir de se protéger du danger, les pèlerins les ont parfois transformés en lieux de dévotion improvisés, y déposant diverses offrandes, monnaies, croix et statuettes divines rassemblées en fin d’exposition. Quant aux époux Dumoulin, qui sortaient tout juste de la messe au moment d’entamer leur ascension, ils ont emporté avec eux leurs livres de cantiques. Une dévotion qui n’aura malheureusement pas suffi à éviter la tragédie, mais dont on découvre les reliquats, à peine écornés. Bluffant.
Un message aux guides de haute montagne
A l’image du papier à musique, ces vestiges alpins ont tous un point commun: leur extrême fragilité. Une fois exposés à l’air libre, ces matériaux périssables se dégradent très rapidement. Il y a donc urgence à les collecter et les entreposer en lieu sûr.
C’est le message que souhaite transmettre l’exposition, adressé en particulier aux randonneurs, aux guides de haute montagne, qui sont les plus à même de faire ce genre de découvertes. «Sans que cela devienne une chasse au trésor, il nous faut sensibiliser les citoyens. Ces artefacts sont, de par la loi, des biens communs, mais nous n’avons pas assez d’archéologues sveltes et alertes pour les récupérer», sourit Caroline Brunetti.
Un «Ötzi» valaisan
Alors, quoi faire si vos crampons butent sur un objet non identifié? D’abord, évitez d’y toucher. Puis enregistrez le plus précisément possible votre localisation et prenez une photo de l’objet, avec un couteau suisse en guise d’échelle par exemple, et des alentours également. Puis, adressez-vous au Service des bâtiments, monuments et archéologie du canton, sauf s’il s’agit de restes humains: dans ce cas, un coup de fil à la police cantonale sera plus approprié.
Outre la collaboration populaire, le canton met en place un groupe de travail interdisciplinaire autour de l’archéologie glaciaire. A l’avenir, le canton espère même développer une application smartphone pour faciliter le recensement des vestiges alpins. Caroline Brunetti, elle, rêve d’un nouvel Ötzi, du nom de cette momie intacte retrouvée congelée en Italie en 1991. Pourquoi pas en Valais? «En tout cas, on veut être prêt pour la grande découverte!»
Mémoire de glace: vestiges en péril. Le Pénitencier, Sion, du 6 octobre au 3 mars 2019.