Echos d’Orient. Parfums d’ailleurs. Observez cette élégante autruche qui trace ses pas dans la neige. Ces installations de ski à l’architecture surannée dans la tempête de neige. Ou ces regards absents prisonniers des embouteillages de Téhéran. Les photos de Ruedi Flück exposées aux murs du restaurant Bachibouzouk à Vevey reflètent l’Iran tel que cette bande de potes réunis sous la bannière de «We Ride In Iran» l’ont vécu. Des images qui nous plongent dans un univers vibrant où parmi les montagnes à pentes douces saupoudrées de neige, règnent passion et fraternité.
We Ride In Iran est un projet élaboré par «Cause», un collectif d’amis qui ont partagé leur enfance sur un skate, des skis ou un snowboard entre la plaine et les montagnes vaudoises. Arnaud Cottet et Benoît Goncerut, initiateurs du projet, ont réuni des amis autour d’eux, comme Nikola Sanz, qui depuis quelques années manie caméra et programme de montage pour créer des documentaires. Arnaud et Benoît habitent en colocation dans une ferme au toit ocre au bout d’une allée de cerisiers tout juste en fleur. Ici, les poules volent dans les arbres. Au deuxième étage de la grande bâtisse, devant un épais mur de pierres, assis en tailleur sur des tapis d’Orient ils servent le café avec du chocolat et des loukoums en accompagnement.
Leur histoire d’amour avec l’Iran débute en 2013 quand Arnaud, 29 ans, et Benoît, 28 ans, leurs études en entrepreneuriat à la HEG de Fribourg bouclées, ont pris la route dans une voiture pleine à craquer de matériel de ski à la rencontre de ceux qui forment la communauté de la glisse à travers le monde. Comme une manière de rendre la monnaie de sa pièce à un sport qui les a forgés.
Un vrai roadtrip
Les deux riders battent les routes et tracent la neige pendant les escales. Accompagnés d’amis photographes et cameramen, les Balkans et la Turquie traversés, ils ont abouti à Téhéran. Là, ils sont tombés sur Amir, éleveur de poules et skieur fanatique depuis vingt ans. Après de nombreux voyages en Europe, Amir, dont le passeport a été confisqué, est désormais condamné à rester en Iran. Coup de foudre.
Est-ce de l’Iran ou de cet homme charismatique fumeur de Marlboro rouge qu’Arnaud et Benoît sont tombés amoureux? «En tout cas, personne ne résiste à son sourire», rigole Arnaud. A travers le personnage emblématique des monts Elbourz dominant la capitale, les deux compères rencontrent rapidement les acteurs de la glisse iranienne. «C’était totalement inattendu. Il y a une vraie scène du snowboard là-bas. Ils sont plus que passionnés et possèdent du matériel dernier cri. Mais toutes leurs initiatives reposent sur le «do it yourself». Il y a peu de soutien extérieur, du type fédération», poursuit Benoît. Les garçons organisent une compétition de freestyle dont le succès est retentissant. Jeunes et moins jeunes, hommes, femmes, tous veulent y participer. Amir est enthousiaste, il les invite à revenir. De retour en Suisse, depuis leur ferme, îlot de verdure helvétique, ils s’organisent et trouvent des soutiens. Deux ans plus tard, ils repartent pour la neuvième fois à Téhéran. «Maintenant on embrasse les douaniers en arrivant!» plaisante Benoît.
Après la révolution islamique de 1979, une bonne partie de ce qui contribuait à rappeler l’influence occidentale du shah a été supprimée. Les installations de ski ont été menacées mais la population locale s’y est opposée et a pu préserver les infrastructures. «Aujourd’hui, les pistes sont un lieu où les habitants aisés de Téhéran viennent profiter d’une certaine liberté. C’est une échappatoire», raconte Arnaud qui reste sidéré par la différence d’atmosphère qui règne dans les vallées au nord de Téhéran. Partager leurs expériences leur a d’un coup paru capital. Comment? A travers le format du documentaire. «Entre Ben Niko et moi, nous formions une équipe complémentaire pour écrire le scénario, faire les interviews, et procéder au montage», explique Arnaud. Son titre, «Off-Piste», a été choisi en hommage au café que tient Amir au bord des pistes de Dizin, la plus grande station du pays au nord de Téhéran. «C’est son deuxième travail, dans sa deuxième vie, sourit Nikola. Le nom anglais Off-Piste a été accepté par les autorités qui contrôlent absolument tout grâce à un subterfuge de mots farsis.» Et le bistrot est très vite devenu «the place to be» des snowboarders et skieurs iraniens. Nikola: «Au Off-Piste on rencontre autant les légendes iraniennes du ski que des jeunes snowboarders de la classe aisée des quartiers nord de Téhéran, ou des enfants afghans qui ont traversé seuls la frontière en quête d’un nouvel avenir.» Devenu aussi leur camp de base, les Suisses y ont développé leurs projets: entraînement et supervision en freestyle, compétitions, et cours de jugements. Tout cela sur un snowpark érigé en été sur la rocaille des pistes déneigées. «On les a un peu bousculés avec notre «rigueur suisse», sourit Benoît. Il a fallu leur faire comprendre qu’un jugement de compétition devait être neutre et éviter les copinages.»
Mais au-delà de la communauté d’amateurs de glisse, ce sont des gens de cœur qu’Arnaud et Benoît ont rencontrés dans les montagnes iraniennes. C’est ce que leur film veut aussi montrer, mais en protégeant au maximum leurs identités. «Nous ne donnons aucun nom. Nous avons préféré ne pas mettre nos amis en danger. D’où une certaine autocensure. Les femmes sans voile et tous ceux qui pratiquent une activité en dehors des normes courent tout de même un certain risque», raconte Nikola. Et les images que ces Iraniens postent sur Instagram? «Officiellement, bien que tout le monde ait un compte, les réseaux sociaux n’existent pas en Iran. On peut donc poster les images. Ce qui n’aurait pas été possible à la télévision qui est, elle, reconnue», explique Arnaud qui, là-bas, ne s’est jamais senti en danger. En mai ils retourneront voir ceux qui, autour d’Amir, respirent des volutes de liberté. «Nous ne sommes que des témoins de ce qui se passe dans ce pays. Notre discours n’est absolument pas politique», glisse Arnaud. Début avril, ils avaient posté un événement sur leur page Facebook: la projection de leur documentaire lors des négociations sur le nucléaire iranien au Beau-Rivage à Lausanne. C’était un poisson d’avril.
We ride in Iran, en images au restaurant le Bachibouzouk, rue des Jardins 10-12, 1800 Vevey, 021 558 43 23
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Nicolas Bouvier
«Mais c’est le propre des longs voyages que d’en ramener tout autre chose que ce que l’on allait y chercher»
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Proverbe iranien