Comment attirer un public qui ne fréquente pas les librairies? Le Man Booker Prize, la plus célèbre des distinctions littéraires britanniques, a trouvé une solution originale en offrant gratuitement la possibilité de télécharger les extraits des six livres sélectionnés sur téléphone portable. Cette initiative de médiatisation doit permettre au Booker, créé sur le modèle du Goncourt, de célébrer en grande pompe, à l'automne, le quarantième anniversaire de sa fondation.

La coentreprise entre le prestigieux prix de fiction et la société londonienne GoSpoken, spécialisée dans le téléchargement sur portable de livres audio, sera inaugurée le 9 septembre, lors de l'annonce de la liste des romans retenus pour la finale, prévue le 14 octobre. Un extrait de chacun des six ouvrages figurant sur la «short list», en format texte ou audio, sera disponible. Il suffira aux utilisateurs d'envoyer un message SMS pour obtenir le document. S'ils sont intéressés, ces derniers pourront commander l'ouvrage livré à domicile ou télécharger sa version audio. L'achat figurera sur la facture téléphonique. Les extraits sélectionnés sont les mêmes que ceux disponibles dans les librairies avant la proclamation du résultat, lors d'un dîner retransmis à la BBC.

Gros paris chez les bookmakers

«Il est bien que le Booker soit aussi un pionnier dans l'univers des nouvelles technologies. Ce projet ne peut que profiter aux libraires et aux auteurs en amplifiant l'effet d'entraînement du prix sur les ventes», insiste Ion Trewin, directeur littéraire de la fondation Booker Prize. Pour le vainqueur, le prix est synonyme de gros tirages: entre 200000 et 300000 exemplaires en moyenne en format broché et un million en édition de poche. Les autres finalistes profitent aussi du retentissement de leur sélection.

Par ailleurs, cet événement annuel majeur pour la littérature anglo-saxonne, dont l'issue est l'objet de gros paris chez les bookmakers, se veut à l'écoute de son époque. Ainsi, le mécénat est assuré par le fonds d'investissement britannique Man Group, la plus grande société de spéculation financière au monde. La moyenne d'âge des lecteurs des ouvrages primés est de 25-35 ans, un groupe plus jeune, plus masculin et moins nanti que le public habituel des librairies britanniques, souligne notre interlocuteur.

Preuve de ce dynamisme, le Booker a court-circuité magistralement l'autre grand prix, Orange, réservé à l'œuvre d'une romancière de langue anglaise, pourtant soutenu par l'opérateur de téléphone mobile O2. Du grand art...

«Cette innovation est bienvenue, car les ventes supplémentaires créées par le Booker permettent aux libraires de mieux résister au ralentissement économique, à l'offre de soldes permanents sur un marché ultra-concurrentiel au centre d'une intense guerre des prix», insiste Neill Denny, directeur de la revue professionnelle Bookseller.

Des ventes qui augmentent

Le recours au portable participe de la vaste campagne du secteur pour résister à l'érosion des habitudes de lecture chez les jeunes. Les promotions «3 for 2» (trois livres pour le prix de deux), la médiatisation des festivals du livre, en particulier les manifestations de Hay-on-Wye, Reading, Edimbourg et Cheltenham et le retentissant succès de la promotion des livres lors du show télé Richard and Judy, ont enrayé la baisse des marges bénéficiaires. La diffusion par la BBC des grands classiques de la littérature britannique a eu pour effet de relancer l'intérêt pour ces institutions que sont Jane Austen, Dickens, Thackeray, voire l'éternel Shakespeare.

Par ailleurs, outre-Manche, la technologie numérique, qui n'en est qu'à ses balbutiements, ne menace pas encore l'édition papier. A la Foire de Londres, en avril, plusieurs éditeurs britanniques, dont la maison indépendante Faber & Faber, ont annoncé d'importants plans de numérisation de leur catalogue. Mais les lecteurs électroniques viennent juste d'être mis en vente dans les grandes chaînes de distribution de livres. Résultat, alors que le secteur des services déprime au Royaume-Uni, les ventes en valeur de livres ont progressé de 1,6% sur un an.